Élections américaines : un tournant pour le climat ?
L'année 2024 marque un tournant dans l'histoire électorale moderne : les citoyens d'au moins 64 pays - où vit près de la moitié de la population mondiale - ont voté pour élire leurs principaux dirigeants politiques. Indonésie, Inde, Afrique du Sud, Brésil, Royaume-Uni, France... et maintenant les États-Unis : les résultats de ces élections auront de profondes répercussions sur l'action climatique et sur notre avenir collectif. Notre scientifique, Beatrice Cordiano, nous éclaire à ce sujet.
Le 5 novembre, nous nous sommes réveillés avec le titre « Trump a gagné les élections » - le résultat que nous craignions pour l'environnement. L'impact de cette élection va bien au-delà des États-Unis, influençant l'économie mondiale, la politique, la géopolitique et le climat. À quoi devons-nous nous attendre ? Qu'adviendra-t-il de la planète ?
Au cours des deux dernières années, une révolution de l'énergie propre a balayé le pays, alimentée par la loi sur la réduction de l'inflation de 2022 (2022 Inflation Reduction Act) - une loi historique allouant environ 370 milliards de dollars pour réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 2005 d'ici à 2030. Les installations solaires et les ventes de véhicules électriques battent des records et redessinent le paysage énergétique des États-Unis. Même des États traditionnellement dirigés par des républicains, comme le Montana et l'Utah, élaborent des plans climatiques afin d'obtenir un financement fédéral. Pourtant, les États-Unis restent le plus grand détenteur de réserves de charbon au monde et le premier producteur de pétrole et de gaz : L'année dernière, les pays a battu tous les records en produisant en moyenne 12,9 millions de barils de pétrole brut et 37,8 billions de pieds cubes de gaz naturel sec par jour. Il est également le premier contributeur historique au réchauffement de la planète et se classe aujourd'hui au deuxième rang mondial des émetteurs de gaz à effet de serre, après la Chine. Il va sans dire que le pays influence de manière significative les émissions mondiales et le paysage politique international en matière de changement climatique.
Cet automne, le climat ne figurait pas sur les bulletins de vote
Le changement climatique, qui était autrefois une question importante dans les élections américaines, semble avoir perdu de son importance pour les électeurs en 2024. Les données des sondages suggèrent que le climat a eu un rôle moins central qu'en 2020. Selon une enquête de Pew Research menée en septembre, seuls 37 % des électeurs ont qualifié ce sujet de « très important » pour leur vote. Il s'agit d'un changement important, même si la polarisation reste profonde selon les lignes de parti : 62% des électeurs qui soutiennent Kamala Harris considèrent le changement climatique comme une priorité absolue, contre seulement 11% des partisans de Trump.
Toutefois, les électeurs ont clairement indiqué à quel candidat ils font le plus confiance pour traiter cette question. Selon une récente enquête Gallup, 61 % des électeurs estiment que Mme Harris aurait été mieux équipée pour lutter contre le changement climatique, et même 25% des républicains estiment qu'elle aurait été plus efficace que M. Trump. Alors que des catastrophes liées au climat ont récemment frappé des États clés, le changement climatique a été éclipsé des débats par des sujets tels que l'immigration, l'économie et la démocratie. Pourtant, il reste un point de division important entre les candidats et leurs partisans.
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Harris contre Trump : deux visions, un terrain d'entente
Les discussions sur le changement climatique sont souvent réduites à un débat binaire : les négationnistes du climat contre les alarmistes du climat, sans tenir compte des perspectives nuancées qui se trouvent entre les deux. En réalité, ce cadre simplifié à l'extrême limite l'efficacité de la communication stratégique. Cela se reflète dans la position des candidats pour 2024 : avec des perspectives très différentes, Trump et Harris ont abordé la politique énergétique sous des angles bien distincts.
Nous ne savons pas ce que Mme Harris - qui a joué un rôle clé dans l'adoption de la législation climatique la plus ambitieuse de l'histoire des États-Unis, l'Inflation Reduction Act (IRA) - aurait fait une fois en fonction, mais nous savons qu'elle a fait campagne sur le renforcement de l'engagement des États-Unis en faveur des énergies propres, en s'appuyant sur les politiques climatiques de l'administration Biden tout en équilibrant la dépendance à l'égard des combustibles fossiles nationaux.
En revanche, M. Trump, avec son colistier JD Vance, a qualifié le changement climatique de « l'une des plus grandes escroqueries de tous les temps », s'engageant à démanteler les réglementations liées à l'IRA de M. Biden, et a fait campagne sur le thème « Drill, baby, drill », privilégiant le soulagement économique immédiat sur les objectifs climatiques à long terme. Ironiquement, même certains des États les plus conservateurs sont devenus des chefs de file en matière d'énergies renouvelables, non pas en raison d'une prise de conscience climatique, mais plutôt en raison de l'attrait économique qu'elles exercent. Cette tendance suggère que, quel que soit l'occupant de la Maison Blanche, certains États pourraient poursuivre l'expansion des énergies renouvelables, poussés par les forces du marché plutôt que par les mandats fédéraux en matière de climat.
Ainsi, les deux candidats ont axé leurs stratégies sur l'indépendance énergétique – un terme de plus en plus associé à l'industrie des combustibles fossiles, qui demeurent, de toute façon, au cœur du mix énergétique américain.
En bref : aucun des deux n'avait grand-chose de concret à dire sur la lutte contre le changement climatique et, malgré leur rhétorique opposée, tous deux ont reconnu l'importance de maintenir un approvisionnement national en hydrocarbures. La différence ? D'un côté, il s'agirait d'assurer la suprématie de l'Amérique sur le marché mondial de l'énergie, de l'autre de maintenir la sécurité énergétique dans un climat géopolitique tendu. Toutefois, soyons clairs : Harris aurait incontestablement été un bien meilleur choix pour le climat que Donald Trump, du moins sur le papier.
Maintenant, la question se pose spontanément : avec le retour de Trump au pouvoir, que nous réserve l'avenir pour le climat ?
Quel est l'avenir du climat ?
Le dernier rapport du GIEC indique clairement que l'objectif de limiter le réchauffement à +1,5 °C n'est plus à portée de main. Les politiques actuelles de réduction des émissions sont loin d'être suffisantes, et les Nations unies préviennent que la planète est désormais sur la voie d'un réchauffement de plus de 3°C.
Le programme Républicain ignore totalement le changement climatique, M. Trump s'étant engagé à démanteler les réglementations actuelles sur le climat afin de réduire les coûts de l'énergie et de lutter contre l'inflation en exploitant ce que l'on appelle « l'or liquide » de l'Amérique. En outre, compte tenu de l'importance accordée par les États-Unis à la fracturation hydraulique et à l'expansion du gaz naturel liquéfié (GNL) - un secteur dont le pays est devenu le premier exportateur mondial sous la présidence de M. Biden -, il est évident que la réalisation des objectifs climatiques devient de plus en plus difficile.
Il n'est pas certain que Trump tienne toutes ses promesses. Mais s'il le fait, une déréglementation massive du secteur pétrolier et gazier ainsi que l'abolition des normes environnementales pourraient ajouter quatre milliards de tonnes de CO₂ à l'atmosphère d'ici 2030 - soit l'équivalent des émissions combinées de l'Union européenne et du Japon - et entraîner des dommages climatiques mondiaux dépassant les 900 milliards de dollars. Ce scénario laisse peu de place à l'optimisme.
En juillet, le monde a connu les journées les plus chaudes jamais enregistrées, suivies de vagues de chaleur régionales incessantes, d'incendies de forêt destructeurs et de graves pénuries d'eau. Les communautés les plus vulnérables, qui contribuent le moins au changement climatique, subissent de plein fouet les conséquences de ces événements.
Alors que les dirigeants mondiaux se réunissent à Bakou pour la COP29, les enjeux sont plus importants que jamais. Au cours de cette décennie cruciale, nous avons besoin de dirigeants qui s'engagent à renforcer la résilience, à réduire les émissions, à abandonner les combustibles fossiles et à protéger à la fois l'environnement et les communautés vulnérables.
Pourtant, il semble que nous allions dans la direction opposée. Dans l'optique d'une seconde présidence de Trump, les perspectives en matière d'action climatique suscitent de vives inquiétudes. Les États-Unis étant l'un des principaux producteurs de combustibles fossiles, le recul de Trump sur les réglementations environnementales - axé sur la domination énergétique - et son retrait potentiel de l'Accord de Paris entraveraient probablement les efforts mondiaux pour faire face à la crise climatique.
Les décisions prises aujourd'hui façonneront l'avenir de notre planète, avec des conséquences durables pour les générations à venir. Aujourd'hui plus que jamais, nous avons besoin d'électeurs et de dirigeants qui donnent la priorité à une action climatique pondérée plutôt qu'à des gains économiques simplistes. Si nous sommes déjà sur la voie d'un avenir à +3°C, combien de dixièmes de degrés supplémentaires un second mandat de Trump ajoutera-t-il à la balance et combien de degrés supplémentaires sommes-nous prêts à accepter ?
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