Un rapport du GIEC qui interpelle
Le GIEC a publié récemment la deuxième partie de son 6e rapport, et le résultat est on ne peut plus clair : la moitié de la population mondiale souffre déjà des effets du changement climatique. Dr Katia Nicolet, notre scientifique à bord et experte en biologie marine, partage les principales conclusions d'un rapport qui aurait amplement mérité un plus grand retentissement.
La première chose inhabituelle dans ce rapport est son ton. Les scientifiques en ont assez de voir leurs rapports minimisés et noyés par les politiques. Ainsi se rapport ne pourrait être plus clair :
« Les preuves scientifiques cumulatives sont sans équivoque : le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé planétaire. Tout retard supplémentaire pour une action mondiale (…) concertée sur l'adaptation et l'atténuation [du changement climatique] manquera une brève fenêtre d'opportunité, qui se referme rapidement, pour assurer un avenir vivable et durable pour tous. »
En deux mots, le changement climatique menace la vie telle que nous la connaissons sur cette planète et nous avons une « brève fenêtre d’opportunité » pour assurer un avenir « vivable ».
Un autre fait important, répété à maintes reprises dans le rapport, est que nous devons faire tout ce qui est humainement possible pour éviter de dépasser un réchauffement de 1,5°C au-dessus de la moyenne préindustrielle (1850-1900). Nous sommes actuellement à un réchauffement de 1,09°C au-dessus de la moyenne préindustrielle, et sur notre trajectoire actuelle, nous atteindrons 2,7°C d'ici la fin du siècle…
Des impacts déjà observés à travers le monde
Le changement climatique est réel, il est déjà là, il ne fera que s'aggraver et oui, les activités humaines en sont responsables. Les impacts du changement climatique sont déjà observés partout dans le monde et certains sont déjà irréversibles. Pour citer le rapport :
« Le changement climatique induit par l'homme, comprenant des événements extrêmes plus fréquents et plus intenses, a causé des impacts négatifs généralisés ainsi que des pertes et dommages à la nature et aux personnes, au-delà des variabilités climatiques naturelles. (…) L'augmentation des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes a entraîné des impacts irréversibles, alors que les systèmes naturels et humains sont poussés au-delà de leur capacité d'adaptation. »
Certains de ces phénomènes climatiques comprennent des températures extrêmes sur terre et dans l'océan, des précipitations anormales, des sécheresses, des inondations et des incendies extrêmes. Ces événements devraient augmenter en gravité et en fréquence avec des climats plus chauds, entraînant des impacts irréversibles dans certains systèmes et certaines régions. De plus, les impacts climatiques multiples ont tendance à se produire simultanément et à rentrer en synergie, entraînant des risques et des vulnérabilités aggravés.
Certaines régions et certains écosystèmes sont plus vulnérables que d'autres, comme c’est le cas des récifs coralliens, des forêts de varech, des régions polaires et de haute montagne, entraînant des pertes irréversibles et des extinctions d'espèces. Cependant, les impacts se produisent avant la perte ou la destruction d'un habitat.
À l'échelle mondiale, "environ la moitié des espèces évaluées se sont déplacées vers les pôles ou, sur terre, également vers des altitudes plus élevées", induisant une perturbation des services écosystémiques et de graves impacts pour les populations humaines. La terre change, les espèces s'éloignent, les récoltes diminuent et les systèmes hydrologiques sont perturbés par la perte des glaciers et le dégel du permafrost . Les systèmes dont nous dépendons pour notre source de nourriture, l'eau potable et même l'oxygène que nous respirons sont déjà touchés par le changement climatique et cela cause de graves dommages à notre santé et bien-être.
Exemple d'impacts cumulés du changement climatique
L'augmentation des températures mondiales et du CO2 atmosphérique a trois impacts différents sur l'océan : a) l'eau de mer se réchauffe, b) l'océan devient plus acide et c) le niveau de la mer monte. Ces impacts interagissent les uns avec les autres, entraînant une aggravation des effets négatifs.
Dans un scénario sans changement climatique, les récifs coralliens se développent chaque année à un rythme donné, formant une barrière physique protégeant la côte des vagues et tempêtes océaniques. Les eaux plus calmes entre les récifs coralliens et le rivage permettent la formation d'autres écosystèmes : les herbiers marins peuvent prospérer dans les eaux peu profondes et les mangroves peuvent pousser le long des côtes. Tous ces écosystèmes interconnectés se traduisent par une incroyable biodiversité, fournissant nourriture et abri à des poissons tropicaux, requins, dugongs, dauphins, crabes, crevettes et à des milliers d'autres espèces. Il s'agit bien sûr d'une source inépuisable de nourriture pour les populations côtières, mais aussi d'une source de retombées économiques grâce à l'utilisation de ces écosystèmes pour les loisirs, le tourisme, la pêche, la plongée et la recherche.
Avec le changement climatique, les coraux blanchissent et meurent à cause des températures trop élevées. Les coraux qui ont survécu à la chaleur excessive ont des difficultés à se développer à leur rythme normal en raison de l'acidification des océans (les coraux ont besoin d'un pH défini pour former leur squelette et grandir). Le récif, alors, se développe plus lentement, tandis que le niveau de la mer continue de monter, ajoutant plus d'eau au-dessus du récif. Par conséquent, le récif ne peut plus agir comme une barrière contre les vagues et les tempêtes océaniques, laissant de grosses vagues et la houle pénétrer dans les herbiers marins et les écosystèmes de mangroves. Ces plantes, cependant, ne peuvent pas résister à l'action continue des vagues et leur nombre diminue.
Avec l'élévation du niveau de la mer, les marées hautes et les tempêtes crées des inondations le long des côtes et érodent les terres. Plus de récifs, plus d'herbiers, plus de mangroves, plus de plages de sable. Et avec eux , l'extinction de centaines d'espèces et la raréfaction de milliers d'autres. Les espèces subsistantes et les poches de récifs et de mangroves qui restent ne fourniront pas les mêmes services écosystémiques aux populations locales, entraînant une perte de sources de nourriture et de revenus économiques.
Une exposition généralisée au changement climatique
« Environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique. Une forte proportion d'espèces est vulnérable au changement climatique. La vulnérabilité humaine et celle des écosystèmes sont interdépendantes. Les modèles actuels de développement non durable augmentent l'exposition des écosystèmes et des populations aux aléas climatiques. »
Cela fait beaucoup d’information à intégrer, mais très simplement, jusqu'à 3,6 milliards de personnes souffrent déjà des impacts du changement climatique, ainsi qu'une grande proportion d'espèces non-humaines. De plus, les gens et la nature sont interdépendants, et des dommages supplémentaires à la nature causeront des dommages supplémentaires aux populations. Plus nous continuerons à réchauffer le climat et à détruire les habitats naturels, plus les humains et la planète en souffriront.
Cela semble logique. Il semble qu’instinctivement, nous l’avons toujours su. Mais l'humanité dans son ensemble ne parvient pas à agir. À l'échelle mondiale, 84,3 % de notre énergie provient de combustibles fossiles (Our World in Data 2020), et les prévisions actuelles à court terme sont encore pires : la demande pour les combustibles fossiles devrait augmenter de manière significative en 2021, selon l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE).
La demande de charbon à elle seule devrait augmenter de 60 % de plus que toutes les énergies renouvelables combinées, ce qui libérera 1 500 millions de tonnes de CO2e supplémentaires dans l'atmosphère (hausse des émissions de 5 % ; Global Energy Review 2021, AIE). Et tous les engagements pris lors de la COP26 couvriront moins de 20% de l'écart de réduction des émissions qui doit être comblé d'ici 2030 pour maintenir une trajectoire à 1,5˚C réalisable (World Energy Outlook 2021, IEA).
Les combustibles fossiles sont la drogue de l'humanité. Nous en sommes dépendants, nous savons que c'est mauvais pour nous et la planète, et pourtant nous ne parvenons pas à nous en débarrasser. Nous continuons à placer le gain à court terme avant la santé et la survie à long terme, même lorsqu'il est économiquement illogique de le faire. Dans la plupart des pays du monde, le solaire devient désormais moins cher que le charbon (Our World in Data).
Un autre récit
Peut-être que ce qui nous manque ce n'est pas de l’information ou une meilleure compréhension du problème. Peut-être que ce dont nous avons besoin, c'est de l'espoir.
Un espoir qu'un autre futur est possible. Une vision vers laquelle se projeter.
Et les scientifiques de ce rapport du GIEC ont jeté les bases d'un tel avenir. Les actions et les étapes vers une adaptation efficaces doivent cocher quelques cases. Les solutions doivent :
- Être multisectoriel et s'attaquer aux inégalités sociales et aux variations des risques climatiques (les communautés à faible revenu, marginalisées et vulnérables subissent des impacts climatiques plus importants et cela doit être pris en compte dans les solutions futures).
- Améliorer les services écosystémiques naturels (ex : restauration des zones humides et des rivières pour réduire les risques d'inondation)
- Améliorer la disponibilité alimentaire et réduire les risques tout en augmentant la durabilité des ressources alimentaires (ex : agroforesterie, diversification des exploitations et des paysages, agriculture urbaine)
- Inclure des mesures de conservation, de protection et de restauration des habitats naturels.
- Réduire les facteurs de stress non climatiques (ex : pollution plastique, pollution chimique, dégradation de l'habitat, déforestation, etc.)
Nous n'avons plus beaucoup de temps
Dans le rapport, les scientifiques déclarent que "le maintien de la résilience de la biodiversité et des services écosystémiques à l'échelle mondiale dépend de la conservation efficace et équitable d'environ 30% à 50% des terres, des écosystèmes d’eau douce et des océans, y compris les écosystèmes actuellement proches de leur état nature".
Il est prouvé que les grandes aires protégées augmentent la résilience des espèces et des processus écosystémiques. En laissant 30 à 50% de la planète à la nature, nous lui permettrons de maintenir les services de base dont l’humanité a besoin pour survivre (eau propre, air pur, source de nourriture stable etc.).
La nature n'a pas besoin des hommes, les hommes ont besoin de la nature.
Ce combat n'a pas pour but de sauver la planète, il s'agit de sauver des conditions de vie viables pour les humains.
Et comme le dit le rapport, c'est possible. Mais nous avons une «brève fenêtre d'opportunité » pour le faire.