Le charbon de bois, une ressource renouvelable non durable ?
Beatrice Cordiano, notre experte en énergie, nous en dit plus sur le rôle de la biomasse - et du charbon de bois - à Madagascar, des conséquences d'une gestion non-durable de cette ressource aux solutions émergentes pour préserver les forêts.
La question brûlante du charbon
Qui dit Madagascar, dit biodiversité. Les paysages y sont extrêmement variés, s’étendant des plaines côtières aux hauts plateaux, atteignant des altitudes entre 800 et 2000 mètres et couvrant environ les 3/4 de la surface du pays. Grâce à cette diversité, Madagascar dispose d'une richesse biologique extraordinaire : des lémuriens bondissant à la cime des arbres, des caméléons se fondant parfaitement dans leur environnement et des forêts tropicales humides abritant une grande variété d'espèces endémiques. Pourtant, sous cette riche surface se cache un problème pressant : la déforestation. Et l'une des raisons de ce phénomène est lié à l'énergie.
Avec 80% de la population vivant avec moins de 2 dollars par jour, Madagascar est l'un des pays les plus pauvres du monde et l'accès aux infrastructures y est l'un des plus faibles d'Afrique subsaharienne et du monde entier. En 2020, environ 33% de la population avait accès à l'électricité, contre une moyenne subsaharienne de 48%, laissant plus de 18 million de personnes sans accès à l'électricité et n'ayant que peu d'options pour leurs besoins énergétiques. Dans ce cas, le choix se porte inévitablement sur une ressource renouvelable largement disponible : la biomasse.
Le charbon de bois, entre le charbon et le bois
Sur la grande île - et dans de nombreux pays en Afrique - la biomasse couvre une grande partie des besoins de consommation d'énergie primaire. Rien d'étonnant quand on sait que l'électricité ne représente que 2 à 3 % de ce mix. A Madagascar, c'est plus de 85 % de la consommation primaire qui est satisfaite par cette ressource, sous forme de bois et de charbon de bois, principalement utilisés pour le chauffage et la cuisine.
Si le bois de chauffage est l'option privilégiée dans les zones rurales, le charbon de bois est principalement utilisé dans les villes. C'est tant le combustible employé dans les économies en développement ainsi que le matériau pour les barbecues dans les pays développés. Il s'agit d'un combustible solide créé par pyrolyse, un processus de carbonisation dans lequel des substances carbonées complexes - en particulier le bois - sont lentement chauffées en l'absence d'air et décomposées en carbone et en d’autres produits chimiques. Le charbon de bois subit une transformation avant d'arriver sur nos grills et dans nos poêles : le bois utilisé pour le produire, empilé d'une manière spécifique pour créer une meule, est allumé, absorbe la chaleur, sèche en dégageant de l'humidité sous forme de vapeur d'eau, puis se décompose thermiquement. Lorsque la température atteint plus de 400 °C, le bois est essentiellement devenu du charbon de bois, un charbon "végétal" qui a mis quelques jours à se former au lieu de millions d'années comme le charbon fossile, qui est une roche sédimentaire.
Le charbon de bois possède une densité calorifique nettement plus élevée, ou en d'autres termes un contenu énergétique plus important, par rapport à sa source de bois d'origine, atteignant environ 28 à 33 MJ/kg (tout comme le charbon minerai), tandis que le bois sec contient généralement environ 18 MJ/kg. Néanmoins, ce gain de densité énergétique se fait au détriment d'une perte - pendant la pyrolyse - de plus de la moitié de l'énergie disponible dans le bois. En effet, 100 kg de bois sec sont nécessaires pour produire 25 kg de charbon de bois : un immense gaspillage de bois. Pourquoi utiliser du charbon de bois plutôt que du bois de chauffage ? Il brûle plus lentement, plus proprement - n'oublions pas qu'il est souvent utilisé dans les foyers - il est plus facile à utiliser, plus léger et plus compact, ce qui facilite le transport et le stockage, plus facilement disponible que le gaz ou l'électricité et encore, moins cher que le bois. Autant de raisons de miser sur cette ressource.
Un mix énergétique renouvelable pas si vert
4/5 du mix énergétique du pays est "renouvelable" , mais dans les faits pas vraiment. En effet, la combustion de la biomasse émet du dioxyde de carbone, tout comme celle des combustibles fossiles. Cependant, l'avantage de la biomasse en tant que source d'énergie réside dans le fait que la quantité de CO2 libérée dans l'atmosphère lors de sa combustion est presque équivalente à celle que les arbres ont capturée par photosynthèse au cours de leur croissance. En d'autres termes, ces émissions sont compensées par la séquestration du CO2 pendant le cycle de croissance de l'arbre. Cette dynamique peut faire de la biomasse une alternative énergétique potentiellement neutre en carbone. Cela vaut lorsque la ressource est exploitée de manière durable. Ce n'est malheureusement pas le cas à Madagascar, où l'industrie du charbon de bois est devenue l'un des principaux moteurs de l'économie du pays, représentant ainsi l'une des plus grandes menaces pour l'environnement.
Rien qu’à Tananarive, 110 000 tonnes de charbon de bois sont consommées chaque année, si l'on considère qu'une famille urbaine consomme environ 2 sacs, soit 60 à 70 kg, de charbon de bois par mois. Sur le terrain, cela se traduit par la déforestation de 32 000 hectares de forêt par an. Selon certaines estimations, en 2012, 402 000 tonnes de charbon de bois ont été consommées sur l'ensemble de l'île, ce qui a entraîné la destruction d'environ 110 000 hectares de forêt. Le problème réside certes dans le nombre d'arbres abattus chaque année, mais surtout du fait que le taux de déforestation est bien supérieur au potentiel de reproduction naturelle de ces forêts. A un tel point que Madagascar a perdu près de 45 % de ses forêts naturelles depuis les années 1950, et que cela ne semble pas prêt de se ralentir.
L’industrie du charbon de bois contribue - mais ce n'est pas la seule, l'agriculture sur brûlis aussi - à la déforestation galopante, exacerbant les effets néfastes du changement climatique : pollution de l'air, perte de biodiversité et érosion des sols, entre autres. En outre, une crise sociale n'est pas à exclure, le prix du charbon de bois connaissant une hausse significative. Moins d'arbres signifie moins de charbon de bois, donc des prix plus élevés pour les consommateurs finaux, les producteurs s'efforçant de maintenir leur rentabilité. Une pression écologique, économique et sociale complexe à affronter pour un pays à faible revenu.
Vers une filière du charbon de bois plus durable
Aujourd'hui, la nécessité de préserver les ressources naturelles renouvelables est particulièrement pressante, compte tenu de l'ampleur de la production de charbon de bois à Madagascar et dans de nombreux autres pays d'Afrique. La solution la plus évidente pour atténuer les impacts considérables de cette production est de restaurer les forêts et c'est ce que fait Bôndy - l'une des nombreuses organisations locales qui luttent contre l'exploitation forestière - dans toute l'île grâce à ses nombreuses pépinières. Il est essentiel de reboiser, en replantant activement des arbres pour compenser tous ceux abattus.
Mais ce n'est pas tout : les efforts déployés pour lutter contre la déforestation et promouvoir la durabilité dans le secteur de la biomasse du pays vont au-délà de la reforestation seule. Des techniques de carbonisation améliorée ont été mises en œuvre pour produire un charbon augmenté: une sorte de carbonisation 2.0 qui permet de produire du charbon de bois plus efficacement, en brûlant moins de bois, épargnant ainsi les arbres et, avec eux, leur carbone stocké. Une technique qui prend 10 à 15 jours, contre 5 jours pour les méthodes traditionnelles, mais qui produit un combustible de haute qualité, plus dense en énergie.
En ce qui concerne l'utilisation, des équipements de cuisson économes en énergie, connus localement sous le nom de "fatana mitsitsy", ont été introduits pour ralentir la combustion, optimisant la consommation d'énergie et réduisant ainsi la consommation de combustible. Ces fourneaux améliorés, combinés à des techniques de production plus performantes, permettent d'économiser jusqu'à 50 % de la consommation de charbon de bois.