Energy Observer 2, un démonstrateur qui carbure à l’H2 liquide
Le transport maritime a la particularité d’avoir à la fois un impact important sur l’environnement et le climat tout en représentant une importance majeure pour l’économie mondiale. L’annonce d’Energy Observer 2 durant le One Ocean Summit soulève de nombreuses questions quant à cette empreinte carbone, qu’il est urgent de réduire, à commencer par les carburants.
L’hydrogène liquide produit à partir d’énergies renouvelables est le parti pris de notre nouveau navire démonstrateur, pour diminuer drastiquement les émissions polluantes notamment en navigation. Quelques explications avec Dr Katia Nicolet, scientifique embarquée.
Le transport maritime actuel est un secteur d’une importance prioritaire pour l’économie globale de notre monde moderne. 80% des marchandises, en termes de volume, sont transportées sur nos mers : habits, objets en tout genre, automobiles, pièces détachées, mais aussi et surtout, matériaux, nourriture et carburants. Il existe aujourd’hui près de 100 000 navires de commerce de toutes tailles, allant des ferrys de passagers de 30m de long jusqu'aux pétroliers gigantesques de plus de 450m. Tous ces navires représentent un poids total à vide de 2,13 milliards de tonnes, dont 43% sont des vraquiers, cargos et rouliers (le type de bateau correspondant à Energy Observer 2), et 29% des pétrolier, illustrant l’importance des produits non-transformés (minerais, acier, bois, sable, blé, grains etc.) et des carburants (pétrole et charbon) pour le commerce mondial.
Si vous avez un toit sur la tête, si vous possédez une voiture, si vous utilisez du gaz pour vous chauffer, si vous avez un téléphone portable ou si vous portez des habits fabriqués en Asie, vous dépendez du trafic maritime pour vivre.
Diminuer les émissions de GES de moitié d’ici à 2050
Bien évidemment, la présence de ces navires a un impact considérable sur l’océan et la planète dans son ensemble. Tout d’abord, ces navires utilisent encore des énergies fossiles pour se déplacer : du fioul lourd, du diesel ou du gaz naturel liquéfié (méthane). L'étude de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), datant de 2020, estime entre 250 et 300 millions de tonnes la quantité de carburant consommée par année, pour une émission annuelle de 1 076 millions de tonnes de CO2. Il est difficile de se représenter ce chiffre et ses conséquences pour le climat. Pour donner un ordre d’idée, cela équivaut à 2,9% des émissions anthropogéniques globales de CO2. Si le transport maritime était un pays, il serait le sixième le plus pollueur du monde, juste après le Japon et devant l’Allemagne.
« Ce que l’on souhaite faire avec #EnergyObserver2 c’est réunir les meilleurs industriels pour mettre au point un navire de transport polyvalent de taille moyenne, qui navigue sans émission» @VicErussard nous en dit plus au #OneOceanSummit
Malgré son impact considérable sur la planète, le transport maritime est rarement évoqué lors des débats climatiques, en grande partie à cause de son importance majeure pour l’économie, mais aussi à sa sobriété à la tonne transportée comparée aux transports routiers ou aériens. Il est également juridiquement complexe d’harmoniser les régulations internationales et d’imposer une gouvernance mondiale lorsque ces navires de commerce proviennent de plus de 35 pays différents. L’OMI, l’institution spécialisée des Nations Unies chargée, entre autres, de prévenir la pollution des mers par les navires de commerce depuis 1948, a renforcé ses objectifs de réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES), le but étant de réduire de moitié la quantité annuelle totale d’émissions de GES d’ici 2050. Un objectif ambitieux qui ne sera pas atteint sans l’implémentation de diverses solutions opérationnelles, mais surtout d’innovations techniques.
Réguler, innover, transformer
Pour évaluer les émissions actuelles et déterminer si les stratégies mises en place ont un véritable impact sur la pollution générée par les navires, l’OMI a défini une unité d’intensité carbone. L’intensité carbone est la quantité de CO2 émise (en grammes) par tonne de marchandise transportée sur un mile nautique (gCO2/t/mn). En 2008, l’année de référence pour les objectifs de l’OMI, les navires émettaient en moyenne 17g de CO2 par tonne transportée sur un mile nautique. En 2018, ce chiffre fut réduit à 11,7g d’intensité carbone. Cependant, dans le même lapse de temps, les émissions globales de CO2 du transport maritime n’ont cessé d’augmenter du fait de la multiplication des navires et des voyages à travers les océans.
Les objectifs de l’OMI sont les suivants :
- Réduire de 40% l’intensité carbone des navires à l’horizon 2030
- Réduire de 70% l’intensité carbone de la flotte mondiale d’ici 2050
- Réduire de 50% les émissions annuelles totales de GES du transport maritime d’ici 2050
Plusieurs stratégies et solutions à court terme vont permettre de réduire les émissions en conservant les navires déjà existants : améliorer la logistique et la gestion de la flotte, optimiser le routage des navires, modifier la structure des coques, réduire la vitesse de croisière etc. Un exemple concret de ces solutions logistiques est la mise en place des Green Corridors du Getting Zero Coalition, action applaudie lors de la dernière COP et du One Ocean Summit. Cependant, ces améliorations ne permettront pas de tenir les objectifs de 2030 et au-delà. Pour cela, une seule solution : changer de carburant.
L’hydrogène vert liquide, une alternative crédible sans émission directe
Certains carburants, comme le gaz naturel liquéfié (GNL) se présentent aujourd’hui comme de bonnes solutions de transition car ils possèdent une densité énergétique et un volume équivalent à celui du diesel, permettant de garder la structure traditionnelle des navires et de conserver un espace de stockage ainsi qu'une charge utile similaires. Le GNL est concrètement du méthane liquéfié qui continue d’émettre du CO2 lors de sa combustion, mais jusqu’à 20% de moins et surtout qui élimine la plupart des émissions de particules fines, et notamment les oxydes de soufres et d’azotes tellement nuisibles à la santé. Le méthane reste un combustible fossile responsable de 16% des émissions de GES mondiales, avec un potentiel de réchauffement climatique ~30 fois plus important que le CO2. Il est donc indispensable de travailler sur des solutions et des technologies plus performantes pour l’avenir.
Pour atteindre les objectifs 2050, il faut innover et inventer d’autres navires, plus performants, plus intelligents, pouvant exploiter les énergies présentes en mer tel que le vent, et se tourner vers des carburants bas carbone n’émettant pas de GES lors de leur combustion. Le choix du carburant se doit d’être un équilibre entre son faible impact environnemental, sa densité énergétique et son volume de stockage, pour ne pas compromettre la capacité de charge utile du navire et générer un nombre plus élevé de bateaux (ou de voyages) pour transporter la même quantité de marchandise.
Energy Observer 2, un nouveau navire de charge polyvalent
Energy Observer s’est tourné vers l’hydrogène liquide -produit sans émission de CO2 - pour son futur cargo polyvalent. 1kg d’hydrogène liquide équivaut, en énergie, à 3kg de pétrole ; parmi les freins à lever pour le maritime, le volume est crucial, car l’hydrogène demande un volume 4,3 fois plus important que le diesel maritime pour son stockage. Il faudra donc compenser cet écart avec une optimisation de tous les paramètres de consommation, poids, hydrodynamique, rendement de la propulsion et aussi le recours à un mix d’énergies renouvelables.
Ce cargo polyvalent du futur possèdera ainsi quatre ailes de propulsion véliques (type Oceanwings, comme celles développées à bord du premier navire Energy Observer) d’une surface totale de 1’450m2 pour réduire la consommation énergétique de 15 à 30% suivant l’angle et la force du vent.
Constituant près de 37% de la flotte mondiale, de conception souvent ancienne et polluante, le cargo polyvalent a été identifié par Energy Observer et ses partenaires comme une catégorie prioritaire pour décarboner le secteur maritime.
L’analyse du cycle de vie sera déterminante lors de la fabrication de ce premier navire démonstrateur industriel, du choix des matériaux au recyclage, avec un chantier français. La sidérurgie est en pleine mutation, ce qui permet d’envisager l’emploi d’aciers à la production beaucoup plus propre. Dès 2022, Arcelor Mittal devrait par exemple produire plus de 600 000 tonnes d’acier vert, grâce à l’emploi d’hydrogène vert ou à la captation de CO2 sur ses sites. De leur côté, les piles à combustible embarquées ont une durée de vie beaucoup plus longue qu’un moteur diesel, avec une maintenance très réduite, tout en étant recyclables à plus de 95%. L’objectif est donc d’avoir un impact carbone minimum sur l’ensemble de la chaîne de valeur.
Comparatif d’utilisation des minéraux par les différentes technologies de mobilité décarbonée
La préservation des ressources naturelles, et notamment minières, dans l’expansion des technologies propres devient un sujet de première importance. Outre les aspects de souveraineté, certaines puissances économiques contrôlant de larges pans de ces activités, il est important de pouvoir anticiper les besoins à venir pour accompagner et bien répartir la transition énergétique. D’après l’Agence International pour l’Energy, l’hydrogène se détache nettement des autres technologies par son emploi minimal de cuivre, nickel, cobalt et terres rares. Les électrolyseurs et piles à combustibles proposent non seulement des durées de vie record, mais le peu de métal utilisé est entièrement recyclable. Ce sont donc des composants vertueux sur bien des aspects, en comparaison des autres technologies.
Consommer moins, mieux
Chez Energy Observer, la meilleure énergie est celle que l’on n’utilise pas. Pour réussir la transition écologique des années à venir, il nous faut réduire notre consommation, se tournant vers une sobriété matérielle et énergétique pour diminuer notre impact sur la planète. Une prise de conscience générale est nécessaire pour enfin cesser de traiter la terre comme une ressource illimitée et indestructible. Il nous faut prendre conscience de nos choix de tous les jours. Quel voyage va effectuer ce pull en polyester achetée sur internet pour une somme dérisoire ? Quelle est son empreinte carbone ? Combien de miles et de kilomètres, combien de kg de CO2 avant d’arriver sur mon palier, soigneusement emballé dans un sac plastique ? Pour, au final, se rendre compte qu’il est trop petit et l’oublier au fond d’une armoire…
Un cargo « zéro émission », c’est le pari de l’ancien skipper @VicErussard avec @energy_observer. Prévu pour 2025, ce futur navire sera alimenté par de l'hydrogène liquide. Il aura une capacité de chargement de 5 000 tonnes, soit un total de 240 conteneurs.
Néanmoins, même si la population planétaire entière réduisait sa consommation de façon significative, le transport maritime resterait une nécessité, pour transporter minerais, céréales, matériaux et carburants (verts, si possible). C’est pourquoi l’innovation technologique se doit d’accompagner la prise de conscience écologique pour assurer une transition vers un avenir plus propre et plus respectueux de la planète.