Quel potentiel pour le renouvelable en Indonésie ?
À l'intersection des océans Indien et Pacifique, situé au large des côtes de l'Asie du Sud-Est continentale, se trouve le plus grand archipel du monde : l'Indonésie. Energy Observer navigue dans cette région depuis le début de l'année 2022 : Jakarta, Bali, puis quelques autres arrêts, avant de rejoindre Singapour, notre principale escale en Asie.
Beatrice Cordiano, experte en énergie et durabilité, est actuellement à bord de notre navire. Elle nous livre un aperçu du contexte de la transition énergétique dans un pays dont le mix énergétique repose principalement sur le charbon.
Autrefois connu sous le nom d'Inde orientale néerlandaise, le territoire indonésien était - comme son nom l'indique - une colonie des Pays-Bas. Son nom actuel, dérivant des mots grecs Indos (Indien) et nesos (îles), a été utilisé après 1880 et n'est devenu officiel qu'au moment de la déclaration d'indépendance, à la suite d’une période d'occupation japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ce vaste archipel composé de plus de 17 500 îles - dont les plus grandes sont Sumatra, Java, Kalimantan, Sulawesi et Papouasie - est situé de part et d'autre de l'équateur et s'étend sur 5 150 km d'ouest en est, soit une distance équivalente à un huitième de la circonférence de la Terre. Pendant des siècles, il a représenté une liaison entre les peuples et les cultures de l'Océanie et de l'Asie continentale.
Le territoire indonésien couvre l'une des régions les plus insolites du monde, située sur la ceinture de feu, là où plusieurs plaques tectoniques (plaque pacifique, australienne, eurasienne et d’autres) se rencontrent et parfois passent l’une sous l’autre. Une situation géographique qui explique son activité volcaniques et sismiques.
Avec une population estimée à 270 millions d'habitants, l'Indonésie est le quatrième pays le plus peuplé du monde. Néanmoins, le territoire abrite de nombreuses et vastes zones sauvages et isolées lesquelles, grâce à un climat tropical favorable, sont le refuge d’une biodiversité riche, combinant flore et faune d'Asie et d'Australasie.
Avec ses montagnes densément boisées dont les pentes se transforment en plaines marécageuses côtières, l'Indonésie se classe deuxième après l'Australie pour sa quantité d'espèces endémiques : 36 % de ses oiseaux et 39 % de ses mammifères ne sont présentes que sur son territoire. Des espèces endémiques que l'on retrouve à terre, mais aussi en mer : ses mers tropicales situées dans le Triangle de Corail, ses récifs coralliens et ses écosystèmes marins regorgent d'une incroyable biodiversité.
Une soif d'énergie
Au cours des 20 dernières années, l'Indonésie a connu une croissance démographique et une industrialisation sans précédent. Sa population a augmenté de 30 % en 20 ans, passant de 211,5 millions d'habitants en 2000 à 273,5 millions en 2020, et devrait continuer à croître au cours des prochaines années. Par conséquent, la demande d'énergie du pays, qui a déjà augmenté de 80 % en vingt ans va littéralement exploser... ce qui ne serait pas un problème en soi, si son mix énergétique était moins carboné.
La consommation d'énergie de l'Indonésie est très proche de celle de la France : en 2019, l'archipel d'Asie du Sud a consommé 2 475 TWh contre 2 689 TWh en France la même année. L'énergie ne se résume pas à l'électricité, elle inclut également les transports et le chauffage. Si l'on considère la seule consommation d'électricité, l'Indonésie a eu besoin de 281 TWh en 2019 contre 565 TWh pour la France, soit un écart plus important par rapport à celui de l'énergie.
Compte tenu de la différence de taille et de population entre ces deux pays, on peut déduire qu'un Indonésien consomme en moyenne beaucoup moins d'énergie qu'un Français : selon les estimations, on parle d'environ 4,5 fois moins d'énergie et d'environ 8 fois moins d'électricité. Et si l'on compare la superficie de l'Indonésie, à sa consommation d'énergie, cette dernière n'est pas très élevée.
Cependant, même si ces données permettent d’appréhender les besoins énergétiques du pays, elles ne sont représentatives de l'empreinte carbone de son secteur énergétique. Pour cela, il nous faut donc examiner ce que l'on appelle l'intensité carbone, à savoir la quantité de dioxyde de carbone nécessaire pour produire un kWh d'énergie. Et c'est là que le bât blesse : l'intensité carbone de l'Indonésie est de 0,27 kg/kWh, soit plus du double de celle de la France.
Le charbon, accélérateur et fardeau
L'Indonésie possède 3,2 % des réserves mondiales de charbon, dont la majorité se trouve principalement à Kalimantan Est et à Sumatra Sud. Avec 560 millions de tonnes extraites en 2020, le territoire est le troisième producteur et le deuxième exportateur mondial. Le charbon est une ressource économique importante en Indonésie, qui explique en partie sa dépendance aux énergies fossiles : en 2019, jusqu'à 94% de l'énergie consommée provenait des énergies fossiles (38% du charbon, 38% du pétrole, 18% du gaz naturel). La même année, près de 60 % de l'électricité était produite à partir du charbon.
Souvenez-vous : lors de la COP26, le charbon a suscité de nombreux débats. C'est, en effet, la source d'énergie la plus polluante : 1 001 gCO2eq sont émis pour chaque kWh d'électricité produit. À titre de référence, pour produire 1 kWh d'énergie, 469 gCO2eq sont produits avec du gaz naturel, 48 en utilisant des panneaux photovoltaïques, 4 via l'hydroélectricité, 12 avec des éoliennes terrestres. L'Indonésie se retrouve ainsi dans la liste des pays les plus polluants au monde.
Préparer un avenir plus durable
En dépit de l'organisation actuelle du secteur de l'électricité - ou peut-être à cause d'elle - le gouvernement a déclaré sa volonté de s'affranchir des combustibles fossiles et d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2060. Conformément à l'engagement signé lors de la COP26 qui consiste à éliminer progressivement les centrales électriques au charbon d'ici 2040, l'Indonésie prévoit de mettre hors service un quart de sa capacité totale de production de charbon de 9,2 GW d'ici 2030 avec une aide financière internationale, évitant ainsi d'émettre 89 million de tonnes de GES par an.
Avec une telle promesse sur le volet écologique, le gouvernement s'engage à soutenir le pourcentage des énergies primaires propres à hauteur de 23% d'ici 2025 et 31% d'ici 2050. Un objectif bien au-delà de la réalité actuelle, si l'on considère que dans le mix énergétique primaire de 2019, les énergies renouvelables ne représentaient que 6,1%, les biocarburants et l'hydroélectricité étant les principaux contributeurs et représentant respectivement 2,7% et 1,7% du pourcentage total.
Si les sources d'énergie bas carbone ne sont pas encore très répandues, l'Indonésie a un vrai potentiel pour développer sa production d'énergies renouvelables. Avec sa forte activité volcanique, c'est un point stratégique pour les ressources géothermiques ; le territoire abrite une capacité installée de 2,13 GW, ce qui le place juste derrière les États-Unis. En outre, le pays possède un incroyable potentiel solaire de 207 GW selon le ministère de l'Énergie et des Ressources minérales (MEMR) ; seuls 181,2 MW sont exploités, soit moins de 1/1000. Un constat surprenant à l’heure où l'énergie solaire devient de plus en plus compétitive et qu'elle bat déjà le charbon en termes de prix de l'électricité.
L'Indonésie devenant de plus en plus énergivore, il lui faudra trouver de nouveaux moyens d'assurer son indépendance énergétique. Avec un vaste potentiel d’énergies renouvelables, le pays pourrait saisir l’opportunité de produire une énergie fiable, propre et peu coûteuse. Néanmoins, le chemin à parcourir est encore long pour basculer vers un système énergétique moins carbonée, dont l'électrification est un élément essentiel. Et l'absence de réseaux intelligents, et de systèmes de stockage d'énergie dans le réseau électrique national posent certaines difficultés.
Tant que le gouvernement n'adoptera pas de politiques spécifiques pour limiter l'ouverture de nouvelles centrales à charbon, et l'appropriation des terres, et favoriser l'installation de systèmes d'énergie renouvelable en mer, sur les lacs, les toits ou les anciennes zones d'extraction de charbon, toutes les annonces faites lors de la COP26 semblent difficilement réalisables. Malgré tout, l'Indonésie semble plus que jamais consciente du potentiel de ses ressources et de sa position géographique favorable, ce qui encourage le territoire à s'engager davantage. Il s'agit d'adopter les bonnes stratégies, et nous espérons pouvoir en découvrir davantage au cours de notre Odyssée.