Les énergies renouvelables en Afrique : l'exemple du Kenya
Tandis que l’Odyssée d’Energy Observer se poursuit dans les eaux africaines, notre équipe de production s’est rendue sur le terrain pour mieux comprendre les défis et leviers énergétiques du continent. Au Kenya, Agathe Roullin et Beatrice Cordiano – respectivement reporter et experte en énergie - ont pu constater à quel point les énergies renouvelables peuvent contribuer à une transition durable et juste dans les pays en développement, avec l'exemple de la géothermie dont le Kenya est l'un des pionniers en Afrique et dans le monde.
Un autre regard sur l'Afrique
L'Afrique. Un cinquième de la population mondiale, 6% de la demande mondiale d'énergie et 3% des émissions de gaz à effet de serre liées au secteur énergetique. Des chiffres parlants si l'on considère que l'Europe, qui représente la moitié de la population de l'Afrique, consomme deux fois plus d'énergie et a déjà émis 10 fois plus de gaz à effet de serre. Un exemple de ce qu'on appelle l'injustice climatique. Mais pourquoi en est-il ainsi ?
L'Afrique compte 33 des 47 pays les moins développés du monde (source : ONU) et l'une des multiples raisons est que le manque d'accès à l'électricité, qui touche plus de 40% de la population, soit environ 600 millions de personnes. L'accès à l'électricité est un facteur indispensable au développement. L'éducation, le système sanitaire, la conservation des aliments : rien de tout cela n'est possible sans électricité.
Or, d'ici à 2050, 2/5 des enfants du monde naîtront sur le continent pour une population estimée à 2 milliards d'habitants. Si le développement de l'Afrique se fait sans tenir compte de l'environnement, la transition vers une économie mondiale à faibles émissions de carbone sera extrêmement ralentie. Si le continent doit définir son propre modèle de développement socio-économique, il doit le faire de manière soutenable. Comment l'Afrique peut-elle accroître l'accès à l'énergie et garantir la sécurité énergétique de ses habitants, tout en concevant une voie nouvelle et durable pour y parvenir ? L'équation est complexe, mais les pistes sont là.
Place aux énergies renouvelables
L'Afrique devra agir sur deux fronts : augmenter la capacité de production d'énergie renouvelable d'une part, et accroître les infrastructures de transmission et de distribution d'autre part.
Heureusement, les richesses naturelles ne manquent pas : le continent possède l'une des meilleures ressources solaires au monde, avec environ 7900 GW de potentiel technique solaire, suivi par 1753 GW de potentiel hydroélectrique, 461 GW d'énergie éolienne, ainsi que de la géothermie dans certaines régions d'Afrique de l'Est.
Même si ces ressources sont encore souvent sous-exploitées, certains des pays où Energy Observer prévoit de s'arrêter explorent déjà ces sources propres et peuvent se targuer d'un mix de production d'énergies vertes. C'est le cas du Kenya, où environ 90 % de l'électricité provient de sources renouvelables.
En effet, l'électricité n'est qu'une composantes de l'énergie dont un pays a besoin - il y a aussi l'énergie pour les transports, les industries, le chauffage et la cuisine - et dans les pays où l'accès à l'électricité et la demande d'électricité sont encore très limités, elle ne couvre qu'une petite partie de l'ensemble de l'énergie utilisée. Néanmoins, dans les années à venir, cette proportion devrait devenir de plus en plus importante.
Le Kenya ou l'El Dorado de la géothermie
À l'échelle africaine, l'Afrique de l'Est est la principale zone d'exploitation de l'activité géothermique. Ici, le long de la vallée du Rift - une faille tectonique continue s'étendant sur plus de 6000 km du nord au sud et traverse des pays tels que l’Ethiopie, le Djibouti, la Tanzanie et le Mozambique - l'activité volcanique est forte, et le potentiel géothermique estimé à 20 GW n'est que partiellement exploité. Un pays mène la danse, le Kenya, tandis que d'autres tentent de suivre son exemple sans pour autant avoir obtenu de résultats concrets jusqu'à présent.
Le parc national de Hell's Gate, situé à environ 90 km au nord-ouest de Nairobi, est le centre de la révolution renouvelable kenyane. Ici, zèbres, girafes et buffles cohabitent avec des fumerolles, des tuyaux sans fin et des centrales électriques. Dans le monde entier, les puits nécessitent d’être forés à une profondeur de 3 000 à 4 000 mètres, alors qu'au Kenya, certains d'entre eux ne sont profonds que de 900 mètres, ce qui, combiné à des températures d'eau chaude pouvant atteindre 300 °C, rend l'énergie géothermique particulièrement compétitive.
L'exploration géothermique au Kenya a débuté vers le milieu des années 1970, dans un contexte de crise pétrolière mondiale et de réseau hydroélectrique fluctuant, lorsque le gouvernement a changé de stratégie pour éviter le rationnement de l'électricité. Quelques années plus tard, en 1981, la première centrale géothermique d'Afrique venait d’être inaugurée : Olkaria I. Tout a commencé avec une turbine de 15 MW, puis l'expansion a suivi. D'autres turbines ont été installées, d'autres puits ont été forés et aujourd'hui, le Kenya se classe au 6e rang mondial pour la capacité géothermique installée avec ses 962 MW - de quoi alimenter plus de 4 millions de foyers par an ! - et espère atteindre 1600 MW d'ici à 2030.
Les têtes de puits : fierté du Kenya
Les centrales géothermiques fonctionnent avec des facteurs de capacité de l'ordre de 90 %, ce qui signifie que, contrairement à l'énergie éolienne et solaire, elles peuvent fournir une énergie régulière et continue pour répondre à la demande de base. Néanmoins, l'énergie géothermique représente moins de 1 % de la capacité mondiale de génération d'électricité, principalement en raison des coûts d’investissement élevés et des délais importants de mise en oeuvre des projets.
Le choix de l'emplacement idéal, le forage de puits et la construction de conduites nécessitent des investissements considérables : un seul puits peut coûter jusqu'à 6 millions de dollars. Et du temps aussi : la centrale électrique doit être alimentée par de la vapeur provenant de plusieurs puits, qui restent souvent ouverts pendant des années après avoir été forés, en attendant l'achèvement de la centrale. Cela peut parfois décourager les investissements privés et freine donc un déploiement rapide. C'est là qu'interviennent les centrales de tête de puits, qui rendent les projets géothermiques plus facilement réalisables tout en anticipant la production d'électricité et de revenus. Un fait intéressant à souligner est que le Kenya a été le premier pays au monde à utiliser cette technologie !
Ces petites centrales géothermiques peuvent être construites directement sur les puits forés, elles sont modulaires et simples à construire et elles permettent d'exploiter la vapeur qui serait autrement perdue en attendant que la centrale principale soit prête. Alors qu'une centrale géothermique classique fonctionne grâce à la vapeur de dizaines de puits, les têtes de puits produisent de l'électricité grâce à la vapeur d'un seul puit. C'est ainsi que le Kenya, qui s'apprête à construire sa 7e centrale géothermique à Olkaria, parvient à injecter 83,5 MW supplémentaires dans le réseau grâce à ses 21 têtes de puits, ce qui est loin d'être négligeable Ce pays est devenu un leader régional incontesté en matière d'énergie géothermique et, comme lui, d'autres pays - l'Éthiopie et Djibouti en particulier - cherchent à développer ce secteur.
Les énergies renouvelables constituent un atout pour l'Afrique à plusieurs égards : non seulement elles pourraient l’aider à combler son déficit d'accès à l'énergie, qui reste aujourd'hui un obstacle au développement socio-économique et humain, mais elles pourraient également contribuer à réduire la vulnérabilité aux chocs extérieurs causés par le changement de prix des combustibles fossiles, et à créer des emplois. Ceci, combiné au vaste potentiel renouvelable de ce continent gigantesque, ne peut que laisser espérer une transition énergétique juste et propre.