Malaisie : perspectives de la transition énergétique
Après plusieurs semaines d'escale technique sur l'île de Langkawi, notre navire est fin prêt à explorer son dernier pays hôte en Asie du Sud-Est.
Comme les autres pays de la région, la Malaisie mélange monde moderne, nature flamboyante et développement économique au pas de course. Ici Beatrice Cordiano, scientifique embarquée à bord d'Energy Observer, va particulièrement s'intéresser aux enjeux énergétiques et aux défis auxquels le pays fait face pour atteindre ses objectifs de réduction carbone.
Un marché énergétique segmenté
Située au nord de Singapour, la Malaisie est composée de deux régions non contiguës séparées par la mer de Chine méridionale : la Malaisie péninsulaire et la Malaisie orientale. Cette discontinuité géographique se reflète également sur le marché de l'énergie : les réserves de pétrole et de gaz sont situées dans des zones éloignées et dispersées, loin des régions de forte consommation de la péninsule malaise.
Par conséquent, le marché énergétique du pays est lui aussi segmenté en deux sous-unités : les plateformes au large de la côte Est de la Malaisie occidentale et les gazoducs sous-marins - rencontrés lors de notre navigation depuis le Vietnam - qui approvisionnent le marché intérieur, et les champs situés au large de la partie nord de la Malaisie orientale qui exportent plutôt vers le marché international. Un surplus d'hydrocarbures à l'Est et des réserves insuffisantes à l'Ouest : cette contradiction spatiale entre les zones productrices et consommatrices du pays explique pourquoi le pays est à la fois exportateur et importateur d'hydrocarbures.
Pour compenser cette répartition inégale des hydrocarbures, la Malaisie tire parti de sa position géographique sur le détroit de Malacca. Cette étroite voie navigable qui s'étire entre l'île indonésienne de Sumatra et la péninsule malaise est une plaque tournante du commerce mondial et voit transiter plus d'un quart des échanges mondiaux.
Pendant des siècles, les navires marchands ont navigué de l'océan Indien vers l'Asie orientale en empruntant un petit canal niché à l'intérieur de l'Asie du Sud-Est. Mais depuis le 17e siècle jusqu'à aujourd'hui, le détroit de Malacca est devenu le principal pont vers et depuis l'Asie, servant de voie de transit primaire pour les produits de première nécessité destinés à alimenter les économies asiatiques à la croissance rapide. Et il est devenu, entre autres, un corridor énergétique.
En 1993, environ 7 million de barils de pétrole et de produits pétroliers - soit 20 % du commerce maritime mondial du pétrole - transitait chaque jour par le détroit. Moins de 20 ans plus tard, ce chiffre était plus de deux fois supérieur, représentant environ un tiers de tout le pétrole maritime et 19 fois la quantité expédiée par le canal de Panama.
Énergie et développement économique de concert
Le temps où énergie et développement ne faisaient pas partie du même discours est définitivement révolu, notamment depuis qu'il est devenu nécessaire de donner accès à l'électricité aux populations aux plus faibles revenus dans les pays en voie de développement. C'est grâce à l'énergie que nous pouvons chauffer et refroidir nos maisons, éclairer des bâtiments, conduire des voitures, transporter des marchandises et fabriquer des produits indispensables à notre vie quotidienne. Énergie et bien-être vont de pair et l'énergie est indéniablement un moteur important de la croissance économique.
Cette affirmation se vérifie tout particulièrement pour les pays en voie de développement tel que la Malaisie, où la demande et l'offre énergétiques sont encore étroitement liées au développement économique. L'économie malaisienne est parmi les plus fortes, les plus dynamiques et les plus diversifiées d'Asie du Sud-Est. Son PIB a augmenté de 300% (soit multipliée par 4) au cours des 20 dernières années, faisant entrer le pays dans le cercle des pays à haut revenu.
La Malaisie bénéficie de nombreux atouts qui expliquent une telle trajectoire de croissance. L'industrie de production en aval des ressources naturelles locales - notamment les hydrocarbures et l'huile de palme - en fait partie.
Le pays est un grand producteur d'hydrocarbures : il est le deuxième plus grand producteur de pétrole et de gaz naturel en Asie du Sud-Est et le cinquième plus grand exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) au monde en 2019.
Pendant longtemps, le gouvernement a financé la production d'énergies fossiles via des investissements en amont et l'exploration, mais cette voie devient de plus en plus délicate à poursuivre en raison du déclin des réserves de pétrole couplé à une forte augmentation de la consommation intérieure. Au rythme actuel de consommation d'environ 260 million de barils par an, la Malaisie sera à court de pétrole d'ici environ 14 ans. Il existe du pétrole à des profondeurs plus importantes et dans d'autres gisements moins accessibles, mais il n'est ni économiquement viable, ni écologiquement justifié de puiser dans ces réserves de pétrole. Quelle que soit la manière dont le problème est abordé, la Malaisie devra se tourner vers des sources d’énergie propres et abondantes.
Promesses climatiques et perspectives énergétiques
Aujourd'hui, la Malaisie dépend d'une manière presque équivalente au pétrole et au gaz naturel pour satisfaire ses besoins énergétiques. Une demande énergétique totale de 1164 TWh, soit la moitié de celle de la France, qui est aujourd'hui satisfaite à 91% par les combustibles fossiles, pétrole et gaz naturel en tête. Ces derniers se taillent ainsi une part de géant par rapport aux énergies renouvelables. En conséquence, environ 90 % des émissions de CO2 du pays sont dues à la combustion de ces ressources.
Si l'on considère que les émissions mondiales devraient atteindre un pic dans les trois prochaines années et diminuer de 43 % d'ici à 2030, les énergies renouvelables jouent un rôle essentiel pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C.
Le marché des énergies alternatives étant en pleine expansion, les progrès technologiques actuels devraient à terme rendre plus accessibles des systèmes énergétiques moins émetteurs de gaz à effet de serre.
Dans le but de construire une économie à faible émission et d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 - bien avant ses voisins de l'Asean, l'Indonésie et la Thaïlande - la Malaisie vise une capacité installée de 31 % en énergies renouvelables d'ici 2025, contre 23 % actuellement. Aujourd'hui, l'hydroélectricité est la principale source d'énergie alternative, représentant 7% du bouquet énergétique, le reste étant réparti entre l'énergie solaire, la biomasse, la géothermie et les déchets, qui représentent moins de 1%. De récentes subventions ont permis au pays de devenir un acteur clé dans la production de panneaux solaires, même si pour l'adoption locale peine à suivre.
Les déchets d'huile de palme, une immense source d'énergie
L'hydroélectricité et le solaire ne sont pas les seuls atouts. La biomasse l'est aussi. La Malaisie est le 2e plus grand producteur d'huile de palme, représentant 27% de la production mondiale d'huile de palme en 2019. L'huile de palme est partout, elle est omniprésente dans une large gamme de produits : chocolat, biscuits, margarine, maquillage, savon, biocarburant, etc. L'huile de palme est une culture incroyablement efficace par rapport aux autres cultures oléagineuses végétales : pour obtenir la même quantité d'huiles alternatives comme les huiles de soja, de coco ou de tournesol, il faudrait 4 à 38 fois plus de terres.
Mais qu'advient-il des déchets qui s'accumulent lors de la transformation des fruits ? Sans surprise les industries agricoles massives entraînent - outre les énormes problèmes de déforestation et de perte d'habitat de la faune - d'importants problèmes d'élimination des déchets de transformation, qui génèrent du méthane, un gaz dont le potentiel de réchauffement planétaire est bien plus élevé que celui du dioxyde de carbone. Des milliers de tonnes de coques de palmiste s'entassent chaque année derrière les usines et, pendant longtemps, les opérateurs n'ont pas su quoi en faire.
L'industrie de l'huile de palme est un moteur important de l'économie malaisienne et le pays ne peut certainement pas y renoncer. En même temps, ce secteur est le principal producteur de biomasse en Malaisie. La réponse au problème réside donc dans la recherche de solutions intelligentes, dont certaines sont déjà disponibles.
L'une d'elles consiste à brûler ces résidus de biomasse gratuits pour réduire les émissions provenant des combustibles fossiles. En quoi cela peut-il aider ? Au cours de ce processus, la biomasse libère une quantité de carbone égale à celle qu'elle a absorbée pendant sa croissance, ce qui rend la combustion neutre en carbone. Une autre option consiste à convertir les déchets en bioénergie (biogaz ou biocarburants) par des procédés thermochimiques. Trouver un moyen de valoriser les énormes déchets produits par les plantations d'huile de palme revient, en définitive, à transformer le problème en solution.
Répondre aux besoins énergétiques croissants d'une manière propre et écologiquement durable est une énorme responsabilité et un défi majeur. Dans une région comme l'Asie du Sud-Est, où le défi de la sécurité énergétique est réel et le potentiel renouvelable énorme, les sources d'énergie propres sont au cœur de la solution pour lutter contre le changement climatique.
Elles fournissent une énergie durable et tous les projets connexes peuvent générer des retombées économiques significatives, à condition de coopérer à grande échelle pour atteindre une véritable révolution énergétique.
Pour aller plus loin
The Strait of Malacca: from sultanates to Singapore I CIMSEC, 2022
The world's most important trade route? I World Economic Forum, 2014
Country Analysis Executive Summary: Malaysia I US Energy Information Administration, 2021
Malaysia: Energy Country Profile I Our World in Data