Les minéraux critiques, héros de la transition énergétique
La transition vers les énergies renouvelables s'est considérablement accélérée ces dernières années dans le monde. Eoliennes, panneaux solaires, véhicules électriques et systèmes de stockage énergétique sont devenus synonymes d'une révolution des énergies bas carbone. Si la lumière est souvent faite sur les technologies de pointe et les innovations qui constituent ces solutions, c'est souvent au détriment de ce qui rend tout cela possible : les minéraux critiques.
Beatrice Cordiano, notre experte en énergie et scientifique embarquée, nous en dit plus sur ces minéraux et dissipe quelques fausses idées à leur égard.
Lorsque nous pensons à la transition globale vers les énergies renouvelables, les minéraux ne sont pas forcément la première chose qui nous vient à l'esprit. Pourtant, ils constituent une brique fondamentale pour diverses technologies d'énergie propre, des panneaux solaires aux éoliennes, des lignes électriques aux batteries, en passant par les véhicules électriques et bien d'autres choses encore. L'objectif mondial étant de limiter le réchauffement de la planète à moins de 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, il est impératif de réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 et de parvenir à des émissions nettes nulles d'ici à 2050. Pour y parvenir, il faut donner un sérieux coup d'accélérateur à la production de toutes les technologies nécessaires à cette transition, et c'est là que les minéraux critiques, ou minéraux de transition, entrent en jeu.
Il s'agit de 50 minéraux - des éléments métalliques ou non métalliques, dont le lithium, le cuivre, le nickel, le cobalt et les terres rares - qui sont essentiels au fonctionnement des technologies modernes et dont la chaîne d'approvisionnement peut être potentiellement perturbée. Téléphones portables, ordinateurs, semi-conducteurs, applications aérospatiales et médicales, technologies à faibles émissions : notre monde est construit autour de ces minéraux.
Répondre à la demande en minéraux
Si les objectifs mondiaux en matière de climat ont été fixés, la question est désormais de savoir comment les atteindre. Selon le dernier rapport de l’IRENA, dans un scénario de 1,5 °C, la production d'électricité devrait plus que tripler d'ici à 2050, 91 % de l'approvisionnement total en électricité provenant des énergies renouvelables, contre 28 % en 2020. Ce qui signifie augmenter considérablement la capacité de production des énergies renouvelables, et construire des technologies énergétiques propres, en grande quantité.
En comparaison de leurs équivalents fossiles, ces technologies ont indéniablement une demande en minéraux nettement plus élevée : une voiture électrique nécessite en général cinq fois plus de minéraux qu'une voiture avec un moteur à combustion interne, une centrale éolienne terrestre nécessite huit fois plus de minéraux qu'une centrale thermique au gaz de capacité équivalente, et une centrale thermique à combustible fossile plus efficace nécessite beaucoup plus de nickel que sa consœur moins efficace. Nous aurons besoin de zinc pour les éoliennes, de lithium pour les batteries, de silicium pour les panneaux solaires, de cuivre pour les lignes de transmission, de platine pour les électrolyseurs et, si aujourd'hui la demande mondiale en minéraux critiques utilisés dans les technologies propres est d'environ 7 million de tonnes, elle pourrait être multipliée par six d'ici 2040 dans un scénario de neutralité carbone à horizon 2050.
Si la demande croît plus vite que l'offre, allons-nous vers un scenario de pénurie ? Non, même si nous nous apprêtons à extraire d'énormes quantités de minéraux, le risque d'en manquer dans un avenir proche est relativement faible, car il existe une différence entre les réserves et les ressources disponibles : les premières correspondent à la quantité de minéraux économiquement viable pour l'extraction, tandis que les secondes correspondent à la quantité totale de minéraux disponibles dans le monde, qu'il soit rentable de les extraire ou non. Par conséquent, les minéraux ne sont ni rares ni peu abondants - même si certains d'entre eux sont appelés terres rares - ils sont simplement difficiles ou non rentables à extraire.
En outre, lorsqu'une marchandise prend de la valeur, deux choses se produisent : d’abord, les réserves augmentent car des ressources auparavant non rentables deviennent rentables ; ensuite, l'exploration et la détection s'intensifient dans la croûte terrestre et les fonds marins, ce qui entraîne une augmentation des ressources. C'est essentiellement ce qui se passe déjà avec les combustibles fossiles, et d'une manière générale avec tout type de ressource. Le problème réel n'est donc peut-être pas de savoir s'il y a suffisamment de minéraux de transition à l'échelle mondiale, mais plutôt si ces minéraux sont facilement disponibles aux bons endroits.
La main mise d’une poignée d’acteurs
Les minéraux ne sont pas répartis uniformément dans le monde et leur production est actuellement beaucoup plus concentrée que celle du pétrole et du gaz. Aucun pays ne domine les marchés du pétrole et du gaz comme l'Australie, la République Démocratique du Congo et la Chine le font pour le lithium, le cobalt et les terres rares. Ici, les trois principaux producteurs contrôlent plus de 75 % du marché mondial. Quant au platine, élément fondamental des technologies hydrogène, l'Afrique du Sud en est le leader incontesté, assurant plus de 70 % de son extraction.
Mais plus encore que l'extraction, ce sont les opérations de transformation qui sont fortement concentrées dans une poignée de pays, avec la Chine au premier plan. Ce pays est le principal raffineur, traitant 35 % du nickel, 50 à 70 % du lithium et du cobalt, et près de 90 % des terres rares. C'est aussi un acteur majeur dans la fabrication de produits intermédiaires tels que les batteries, les composants de panneaux photovoltaïques et d'éoliennes. Une telle concentration géographique est synonyme de contraintes géologiques et commerciales, mais aussi de revirements réglementaires, ce qui soulève d'importantes inquiétudes quant à la vulnérabilité de la chaîne d'approvisionnement mondiale. Ainsi, si la production s'arrête dans l'un de ces pays, les perturbations auront des répercutions dans le monde entier. En d'autres termes, la géopolitique peut être tant un frein qu'un accélérateur dans la course vers la neutralité carbone.
L'empreinte carbone de l'exploitation minière
Un autre point souvent évoqué à juste titre est le suivant : comment l'extraction de tous ces minéraux de transition vers les énergie propres peut-elle être durable, compte tenu de leur demande importante dans un avenir proche ? Aujourd'hui - c'est indéniable - la production et le raffinage des métaux ne sont pas très respectueux de l'environnement et lorsqu'il s'agit de minéraux critiques, ils sont très gourmands en énergie, et trés émetteurs en carbone : 3 tCO2eq sont émises pour chaque tonne de zinc, 4,8 pour chaque tonne de carbonate de lithium et 16,7 pour une tonne de sulfate de cobalt.
Toutefois, il est nécessaire d'examiner les émissions sur l'ensemble du cycle de vie - de l'extraction à l'utilisation - et le constat est sans appel : les émissions de gaz à effet de serre résultant de la fabrication ne peuvent pas annuler les avantages climatiques de ces technologies.
Ainsi, les émissions totales sur l’ensemble du cycle de vie des véhicules électriques sont environ deux fois moins importantes que celles des véhicules à combustion interne, et cet écart se creuse encore davantage si l'on utilise de l'électricité renouvelable pour alimenter l'industrie minière et faire fonctionner le véhicule. L'avantage est évident et ne laisse pas beaucoup de place aux doutes : les émissions générées par l'extraction des minéraux sont infimes par rapport à celles générées par la combustion des énergies fossiles.
Minéraux critiques, minéraux de sang ?
C'est un sujet souvent passé sous silence par les industriels évitent le discours : la production de minerais utilisés pour fabriquer de nouvelles technologies finance des conflits sanglants. Le lien entre l'exploitation minière et les conflits est ancien et complexe, et avec l'augmentation de la demande liée à la transition énergétique des appréhensions existent quant aux conséquences potentielles sur les droits de l'homme : exploitation des enfants, esclavage moderne, exacerbation de la pauvreté et exclusion sociale.
Aucune loi ne garantit que la fabrication de technologies vertes ne va pas causer de préjudice en remplaçant un type d'injustice par un autre . C'est le cas des mines de cobalt non réglementées en RDC, où les enfants travaillent dans des environnements dangereux, des salines du Chili où le lithium prive les communautés indigènes de ressources en eau, menaçant ainsi les cultures, ou de la Mongolie, où la construction de la mine d'or et de cuivre d'Oyu Tolgoi a bloqué des couloirs utilisés par les éleveurs depuis des générations.
Le besoin de réglementation n'a jamais été aussi pressant : les pays doivent être transparents sur l'approvisionnemment des matériaux qui alimentent une transition durable. Car pour être durable - réellement durable - la sécurité, l'inclusion et la justice sociales doivent être considérées au même titre que le respect de l'environnement et la stabilité économique : une interconnexion qui se trouve au cœur des 17 Objectifs de Développement Durable, dans le cadre de l'Agenda 2030 établi par les Nations Unies.
The need for regulation has never been more pressing: countries must be transparent about the sourcing of the materials which feed their sustainable transition. Because, if it is to be sustainable – really sustainable – social security, inclusiveness and justice must be regarded on a par with environmental respect and economic stability: an interconnexion lying at the core of the 17 Sustainable Development Goals, as part of the 2030 Agenda established by the United Nations.
Dans un monde décarboné, les mineraux critiques seront l'épine dorsale de nos économies, et tout reposera sur eux. Si bien réglementés, ils offriront des perspectives promettueuses pour accélérer la transition énergétique et permettre aux pays les plus défavorisés de sortir de la pauvreté. Comme toute ressource, leur disponibilité, leur concentration géographique et leur extraction durable posent des défis. Mais une chose est sûre : l'impact de leur extraction sera nettement inférieur à celui généré par une société qui repose largement sur des combustibles fossiles.