Aller à la navigation Aller au contenu principal
Toutes nos ressources documentaires

L'impact de la pollution plastique sur la biodiversité marine

La catamaran Energy Observer sillonne en ce moment les mers de l’Asie du Sud-Est, en Indonésie. C’est l’occasion pour nous de revenir sur une menace majeure qui menace nos océans : les débris plastiques. Dr Katia Nicolet, notre scientifique embarquée et experte en biologie marine, nous en dit plus sur ce phénomène.

Pollution plastique

La deuxième plus grande source de débris plastiques dans l'océan

L’Indonésie est un archipel énorme de plus de 17 000 îles qui s’étendent sur 5 000 km de long, de Sumatra à l’ouest, à la Papouasie occidentale à l’est. C’est également le quatrième pays le plus peuplé du monde, la majorité de cette population vivant le long des côtes. Malheureusement, cela fait également de l’Indonésie la deuxième plus grande source de débris plastiques dans l’océan. Chaque année, 600 000 tonnes de plastique sont déversées, le long des côtes indonésiennes. Ces déchets ne sont cependant pas tous endogènes, puisque l'Indonésie - comme de nombreux pays d'Asie - reçoit des cargos remplis de plastiques en provenance des pays occidentaux. En effet, payer des pays en voie de développement pour qu'ils traitent nos déchets, et expédier ces ordures à travers le monde semble plus rentable que de les recycler...

Quelle que soit leur origine, les débris plastiques, s'échappant des décharges à ciel ouvert, vont d'abord polluer les écosystèmes côtiers, tels que les mangroves, les herbiers sous-marins et les récifs coralliens, avant d’être emportés par les courants pour rejoindre le large. À chaque étape, l’impact sur l’environnement marin est désastreux, engendrant des problèmes multiples, en fonction également du stade de fragmentation du plastique.

Pour mieux comprendre ce phénomène, revenons donc aux bases. Qu’est-ce que le plastique ? Comment se retrouve-t-il dans nos océans ? Quels sont ses impacts une fois dans le milieu aquatique ?

Décharges de déchets à Bali

Le plastique, c’est quoi ?

La matière plastique est un dérivé d’hydrocarbure (pétrole ou charbon) que l’on chauffe entre 20 et 180˚C pour obtenir un liquide transparent proche de l’essence (appelé naphta). Ce liquide est ensuite fragmenté pour obtenir des monomères : de courtes molécules composées de carbone et d’hydrogène. Ces courtes molécules, comme les wagons d’un train, peuvent être assemblées pour en former des plus grandes, appelées polymères. Les polymères sont à la base de toutes les matières plastiques, et les différences de formes, de couleurs et de propriétés sont obtenues par l’ajout d’additifs. C’est ainsi que l’on peut obtenir des plastiques souples ou extensibles, résistants au feu ou imperméables, transparents ou colorés.

Un matériau du quotidien rendu indispensable

Les plastiques sont partout : dans nos emballages alimentaires, nos vêtements, le sol de nos écoles, la plomberie de nos maisons, nos peintures, nos cosmétiques ou nos sachets de thé. Il est difficile de s’imaginer un monde sans eux, et pourtant, leur invention n’est que très récente ! On ne sait fabriquer les polymères synthétiques que depuis les années 30, et c’est durant les Trente Glorieuses que l’on assiste à l’invention et la diversification de la plupart des plastiques.

Avec leur polyvalence, les plastiques ont envahi nos vies. Au fond, et alors ? Ne nous apportent-ils pas un confort et une facilité auparavant inégalée ? Si, mais à quel prix ?

Pollution plastique

Aujourd’hui, les plastiques sont classés selon sept catégories dont les logos (les fameuses flèches en triangle) figurent au dos de nos emballages.

  • PET – Polyéthylène téréphtalate : bouteilles, sac jetables, fibres de polyester, etc.
  • PEHD – Polyéthylène haute densité : bouchons, flacons de lait ou de lessive, etc.
  • PVC – Polychlorure de vinyle : jouets, sols, cadre de fenêtre, matériel médical, etc.
  • PELD – Polyéthylène basse densité : sac réutilisable, gobelet de café à emporter, etc.
  • PP – Polypropylène : pot de yaourt, paille, emballage alimentaire, Tupperware, etc.
  • PS – Polystyrène : monture de lunettes, vaisselle jetable, isolant thermique, etc.
  • Autres – Autres plastiques : nylon, acrylique, matières multicouches, etc.

Le plastique, un problème insoluble

Le problème majeur du plastique provient justement de sa durabilité : il ne se dégrade jamais. Puisqu’il s’agit d’une matière synthétique, le monde du vivant ne peut l’assimiler, et le plastique se fragmente en morceaux de plus en plus petits, mais sans jamais être totalement décomposé. Il s’accumule donc dans l’environnement naturel sous différentes formes : déchets macroplastiques (> 5 cm), mésoplastiques (5 mm à 5 cm) et microplastiques (< 5 mm).

Qui dit plastique dit déchet. Car - bien que nous en ayons fabriqué des quantités astronomiques - nous ne savons que peu ou pas le recycler. Depuis 1950, nous avons produit 8,3 milliards de tonnes de plastique, dont la moitié pour une utilisation à usage unique (source : Geyer et al. 2017). 8,3 milliards de tonnes de plastique en 65 ans (de 1950 à 2015), c’est l’équivalent de 4 tonnes de plastique par seconde ! Et 76 % de cette production a fini en déchets. On estime aujourd’hui qu’un total de 5 milliards de tonnes de déchets plastiques ont terminés leur course dans l’environnement : sols, rivières, montagnes, forêts, lacs et océans.

Décharge de déchets à ciel ouvert à Bali

Une quantité insoutenable de débris plastiques qui se fragmentent sous l’effet du vent, des UV, des vagues et de la chaleur. Des sacs plastiques éventrés, des bouteilles en PET recouvertes de coquillages, des fibres de textile polyester, des poussières de pneus et des bouchons qui se mélangent aux galets des plages. C’est là qu’intervient le deuxième problème du plastique : la pollution par les additifs. Les composés chimiques ajoutés en additifs pour donner aux objets leurs propriétés sont souvent tenus secrets (secret industriel), mais beaucoup sont connus pour être toxiques et ils se libèrent des objets lors de leur utilisation et fragmentation. Dans une étude qui s’est intéressée à la composition de 34 biens de consommation courante (bouteille, emballage, etc.), 1 411 produits chimiques différents ont été détectés (source : Zimmermann et al. 2019). Dans cette liste, seuls 260 ont pu être identifiés et 192 étaient reconnus comme toxiques. Une toxicité qui s’échappe du plastique et augmente son impact néfaste sur l’environnement.

Résistants, très peu recyclés, souvent libérés dans la nature et non biodégradables, les plastiques, qu’ils soient petits ou grands, constituent une pollution alarmante pour tous les écosystèmes de la planète.

Une nature qui étouffe sous nos détritus

5 milliards de tonnes de déchets plastiques dans l’environnement… C’est une telle quantité de débris que les scientifiques estiment que le plastique sera un marqueur géologique de notre passage sur Terre. Nous serons identifiables par nos déchets pour les ères géologiques à venir… Mais dans l’immédiat, la nature souffre de notre dépendance aux plastiques.

Les débris les plus grands - les macroplastiques de plus de 5 cm comme les filets fantômes ou les emballages - présentent un risque direct pour les espèces qui peuvent alors s’y emmêler, ou les ingérer en les prenant pour des proies. On a tous en tête cette image d’une tortue marine mâchouillant un sac plastique ressemblant à une méduse ; d’un cerf les bois pris dans une corde en nylon ; ou encore d’un requin mort dans un filet dérivant. L’enchevêtrement peut causer la mort rapide de certaines espèces par asphyxie ou étranglement, mais est aussi susceptible d’engendrer des blessures et des infections. Les débris ingérés, eux, ne pourront pas être digérés et vont générer une fausse sensation de satiété, des obstructions gastriques et des ulcères. Plus de 800 espèces animales sont impactées par les macroplastiques ; 100 000 tortues et mammifères marins en meurent chaque année. Chez les oiseaux marins, c’est encore pire : on estime à plus d’un million le nombre d’oiseaux morts par overdose de plastique chaque année. Ces chiffres, malheureusement, sont probablement largement sous-estimés.

Tous les déchets mentionnés ci-dessus, qui sont visibles à l'œil nu, ne représentent que 1% de la pollution mondiale. Une fois dans l'océan, certains déchets coulent et d'autres flottent. Les débris flottants se fragmentent en plus petits morceaux avant de couler à leur tour. La grande majorité de la pollution est donc invisible, ayant disparu dans les profondeurs de l'océan ou étant trop petite pour être remarquée : les microplastiques.

Ces microplastiques, en se décomposant, libèrent leurs additifs toxiques dans l'environnement. Mais ces micro-débris fonctionnent aussi comme de véritables buvards pour les autres polluants déjà présents dans la nature comme les pesticides, les hydrocarbures et les métaux lourds. Un véritable cocktail explosif concentré dans un fragment de moins de 5 mm - facilement ingérable donc. C’est ainsi que 23 000 tonnes de substances toxiques sont rejetées dans l’océan par les déchets plastiques chaque année. Ces substances peuvent avoir un impact direct sur les organismes marins. Par exemple, le phytoplancton Prochlorocuccus - qui, à lui seul, produit 10 % de l’oxygène que nous respirons - voit son activité de photosynthèse entravée par la présence de polluants (source : Tetu et al. 2019). Mais les toxines ont aussi un impact indirect : les petits organismes, comme le krill, les ingèrent avant d’être eux-mêmes mangés par des animaux plus gros. Une étude a détecté la présence de microplastiques dans 3/4 des échantillons de minicrustacés, prélevés au fond des six fosses océaniques les plus profondes du Pacifique. Ces microplastiques s’accumulent le long de la chaîne alimentaire et les polluants se concentrent : dauphins et autres cétacés contaminés aux métaux lourds développent des tumeurs, des ours polaires empoisonnés aux phtalates ont des difficultés à se reproduire. Les effets du plastiques se retrouvent donc partout, de l’algue marine unicellulaire au plus grand carnivore terrestre.

Du plastique, partout

Les particules de plastique de plus en plus petites sont transportées par les vents, les courants et les rivières, se retrouvant absolument partout. Des eaux souterraines aux sommets de l’Everest, des sables du Sahara aux neiges de l’Antarctique - pas un écosystème n’en est épargné. On les boit dans l’eau de source, on les mange dans les fruits de mer, on les respire dans les poussières d’appartement. Par semaine, c’est environ 5 grammes de plastique que l’on ingère ainsi au quotidien, soit une carte bancaire tous les sept jours, avec leur équivalent en produits toxiques.

Pollution plastique

On ne peut pas séparer l’humain de la crise écologique. Notre sort est lié à celui de l’albatros retrouvé mort, l’estomac rempli de plastique. Il nous faut absolument nous détacher de notre addiction au plastique, et arrêter la production de déchets dès son origine. Le nettoyage des plages et des océans est important, mais un combat perdu d’avance si nous n’arrêtons pas le problème à sa source. C’est notre quotidien qu’il faut changer. Refuser le « tout plastique » et exiger des matériaux sains, recyclables et biodégradables. La nature le fait très bien, seuls quelques protéines sont à la base des toiles ultra-résistantes de l’araignée, de la carapace solide du scarabée ou de l’aile souple et légère du papillon. Et toutes ces protéines sont non-toxiques, biodégradables et naturellement recyclées par la nature. Un autre monde est possible.

Le plastique n’est pas une fatalité, c’est un choix.