L’Inde sous deux angles : électrique et hydrogène
Bientôt pays le plus peuplé du monde aux défis énergétiques immenses, l'Inde affiche des objectifs ambitieux pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2070. Développement des énergies renouvelables, électrification des transports, production massive d'hydrogène vert : tour d'horizon de la feuille de route de ce géant d'Asie avec Beatrice Cordiano, experte en énergie et durabilité, lors de la 75e escale de notre Odyssée.
Objectifs ambitieux et défis d'envergure
Chaque année, l'Inde ajoute à sa population métropolitaine une ville de la taille de Londres, multipliant ainsi la construction de nouveaux bâtiments, de sites industriels et d'infrastructures pour les transports. Avec une population de près de 1,4 milliard d'habitants, l’Inde devrait dépasser la Chine et devenir le pays le plus peuplé du monde et ce, dès l'année prochaine.
Le maintien d'une économie à croissance aussi rapide implique une demande énergétique énorme, qui jusqu'à présent été couverte par une importation de masse de combustibles fossiles. Comme de nombreux autres pays en développement d'Asie du Sud-Est, le charbon et le pétrole ont historiquement servi d'épine dorsale à l'industrialisation et au développement de l'Inde, apportant des services énergétiques modernes à une population indienne en perpétuelle croissance.
Cette surconsommation de combustibles fossiles a inévitablement entraîné une augmentation des émissions annuelles de CO2 du pays, faisant de lui le troisième plus grand émetteur au monde. Compte tenu de la superficie de l'Inde et de son incroyable potentiel de développement, sa demande énergétique risque d'augmenter plus que celle de tout autre pays dans les années à venir, entraînant une augmentation des émissions si le mix énergétique n'est pas repensé.
Néanmoins, les efforts pour que l'Inde passe d'un déficit à une autosuffisance énergétique se poursuivent depuis plusieurs décennies. Aujourd'hui plus que jamais, le pays s'engage à trouver des sources d'énergies alternatives pour un développement plus durable.
L'Inde s’est fixé un objectif ambitieux lors de la COP26 de Glasgow : atteindre la neutralité carbone d'ici 2070. Des objectifs encore plus ambitieux ont été annoncés par le Premier ministre Narendra Modi pour accélérer cette transition vers des sources d'énergie à faible teneur en carbone : il a relevé son objectif de capacité énergétique à faibles émissions pour 2030, le faisant passer de 450 à 500 gigawatts, et s’est engagé à réduire ses émissions de dioxyde de carbone d’un milliard de tonnes avant la fin de la décennie.
La volonté est claire mais d'énormes défis restent à relever. La bonne nouvelle c'est que la transition vers les énergies propres est en cours, et l'Inde mise sur son potentiel renouvelable quasi infini pour repenser sa mobilité et développer sa production d'hydrogène vert.
Le secteur des transports : un géant à décarboner
En tant que marché émergeant, l'Inde est l'un des plus grands constructeurs de voitures et de deux-roues au monde. Le pays possède également le quatrième plus grand réseau ferroviaire et le marché de l'aviation qui connaît la plus forte croissance. Le secteur des transports doit donc répondre aux besoins de plus d'un milliard de personnes et doit continuer à se développer, ce qui contribue fortement à la pollution atmosphérique.
Actuellement, le pétrole est la principale source d'énergie de ce secteur, qui est par ailleurs principalement importé. Cela fait du transport le troisième émetteur de gaz à effet de serre (GES) en Inde, représentant environ 15 % des émissions de CO2 liées à l'énergie. Sur l'ensemble de ces émissions de dioxyde de carbone, 90 % proviennent du secteur routier. Ces données sont claires, il est crucial de fixer un objectif de décarbonation du transport routier pour aider l'Inde à se rapprocher de son engagement mondial en faveur du climat tout en permettant d’améliorer le quotidien de la population : l'air serait plus pur et les citadins en meilleure santé.
Les efforts de décarbonation sont bien présents dans la région du Kerala et notamment à Cochin, plus qu'ailleurs en Inde, avec des projets comme un métro ferroviaire, un métro aquatique et des rikshaws électriques (véhicules locaux permettant de transporter des personnes ou de la marchandise), tous alimentés par l'électricité provenant d'installations solaires. L'Inde s'est engagé dans des projets d'électrification très ambitieux et la transition vers la mobilité électrique s'accélère lentement mais surement. Le pays a le potentiel pour devenir un acteur mondial dans la production de véhicules électriques, mais cela nécessite d’augmenter les infrastructures de recharge.
La course à l’hydrogène vert
L'hydrogène vert s'est révélé être un thème central de la COP27 de cette année, avec les premiers engagements de l'Union Européenne, de l'Égypte, de la Namibie, du Kenya, du Kazakhstan et d'Oman. De nombreux gouvernements ont annoncé des feuilles de route à échelle nationales et des mesures financières qui vont contribuer à faire avancer le déploiement massif de l'hydrogène vert. De même, l'Inde a dévoilé son intention de s’engager dans la révolution de l'hydrogène pour décarboner des secteurs difficiles à réguler et atteindre ses objectifs climatiques.
Le pays prévoit de produire 5 millions de tonnes d'hydrogène vert - produit par électrolyse de l'eau à partir d'énergies renouvelables - par an d'ici à 2030, dans le but de devenir un acteur de référence pour la production et l'exportation d'hydrogène. Un tel objectif nécessite le déploiement d'une capacité d'électrolyse de 25 GW et stimulera sans aucun doute la voie vers une capacité accrue en matière d'énergie renouvelable. 5 Mt d'hydrogène pourraient remplacer environ 11 Mt de gaz naturel ou 25 Mt de charbon, évitant ainsi environ 34 à 57 Mt de CO2 d'ici 2030.
Si elle est utilisée directement, l'électricité est un moyen plus efficace de remplacer les combustibles fossiles. Cependant, l'électrification directe n'est pas une solution facile. Elle le serait si la demande d'énergie et la production à partir de sources renouvelables étaient synchronisées. Ce n'est malheureusement pas le cas pour le secteur de l’industrie et cela ne répond pas aux besoins de la mobilité lourde, ou de la production d'acier, de ciment et d'ammoniac. C'est là que l'hydrogène entre en jeu et c'est pourquoi l'Inde mise autant sur ce vecteur énergétique.
L'Inde dispose de deux grands atouts : de nombreuses ressources renouvelables et des coûts de production d'électricité peu élevés. Mais ce n'est pas tout. Lorsque les prix bas des ENR se conjuguent au développement technologique et à la mise à l'échelle des installations d'électrolyse, c'est là qu'un marché de l'hydrogène compétitif, au niveau mondial, devient possible.
Dans cet immense pays, l’hydrogène fabriqué localement contribuera à renforcer la sécurité énergétique, ce qui représente de manière concrète une occasion unique de se positionner dans le commerce de l'énergie et des matières premières. De plus, à mesure que les combustibles fossiles deviennent de plus en plus chers, la compétitivité des ENR augmente. La pression croissante sur la sécurité énergétique ainsi que l'inflation déclenchée par la guerre en Ukraine accélèrent encore ce point de bascule des coûts.
La transition vers une énergie propre est une immense opportunité. L'Inde dispose non seulement des ressources, mais démontre une vraie volonté de changement. Aujourd'hui, le pays est déjà en passe de devenir l'un des principaux leaders en matière de production d'ENR et d'hydrogène vert, mais le soutien de la communauté internationale est encore nécessaire pour atteindre cette transition vers une économie à faible émission de carbone.