Aller à la navigation Aller au contenu principal
Toutes nos ressources documentaires

Manifesto pour plus de femmes dans la préservation des océans

On a besoin de femmes sur les mers. On a besoin de femmes scientifiques. On a besoin de femmes pour préserver nos océans. Katia Nicolet, scientifique embarquée à bord d’Energy Observer et docteure en biologie marine, revient sur son parcours et défend l’importance du rôle des femmes dans les domaines scientifiques et marins.

“Je m’appelle Katia Nicolet et je suis docteur en biologie marine. J’ai passé la plupart de ma vie d’adulte près de l’océan, soit naviguant sur ses flots, soit plongeant sous sa surface. Je suis également devenue cheffe d’expédition sur des bateaux de croisière, menant des expéditions dans l’océan Pacifique et l’océan Indien. En tant que femme, je suis incroyablement reconnaissante envers toutes les pionnières qui ont ouvert la voie pour me permettre d’assumer ces rôles de scientifique et de leader. Malgré tout, mon parcours n’a pas été des plus tranquilles. Quand on regarde les discriminations qui ont été faites aux femmes à travers l’histoire, il n’est pas étonnant que ma position en surprenne encore certains aujourd’hui.”

Katia Nicolet, docteure en biologie marine

Le féminisme à fond de cale

Jusque dans les années 1900, la meilleure manière pour les femmes d’être employées sur un bateau était de se travestir en homme. Beaucoup d’aventurières rebelles ont fait ce choix aux XVIIIe et XIXe siècles, mais si leur identité véritable était révélée, cela signifiait la fin de leur carrière. Jeanne Barret, par exemple, est connue pour avoir été la première femme à faire le tour du monde avec l’expédition de Bougainville entre 1766 et 1769. Déguisée en homme, elle navigua en tant qu’assistante du naturaliste Philibert Commerson et experte en botanique. Quand son identité ne put plus être tenue secrète, Barret fut débarquée à la Réunion avec Commerson.

Bien plus tard, les femmes peuvent enfin être employées sur les navires et commencent leur carrière maritime. Une des premières femmes à devenir capitaine d’un navire au long court fut la Russe Anna Ivanova Shchetinina. En 1935, à l’âge de 27 ans, elle entreprit son premier voyage d’Hambourg jusqu’en Extrême-Orient Russe, contournant l’Europe, l’Afrique et l’Asie. C’était il y a moins de 100 ans. L’histoire maritime des femmes ne fait que commencer. Ces femmes intrépides ont dû faire face, soit à l’admiration, soit à la désapprobation des « bonnes gens ». Dans tous les cas, leurs actions étaient jugées par tous. Elles étaient vues, soit comme exceptionnellement courageuses (signifiant que les femmes « normales » ne pourraient pas en faire autant), soit comme des parias pour avoir brisé les règles de la bonne société.

Les femmes et la science : des débuts chaotiques

Le monde académique n’a pas été beaucoup plus clément envers les femmes. Pendant des siècles, les femmes étaient considérées comme ayant un cerveau plus petit et moins développé que celui des hommes. Les femmes n’avaient pas accès à la sphère publique et étaient cantonnées à la sphère privée, s’occupant de la maison et des enfants. Même après avoir obtenu le droit de vote, le rôle des femmes n’a que très lentement évolué dans la société. Elles ne pouvaient pas être l’égale de l’homme, surtout pas dans les milieux scientifiques et académiques.

En 1870, Sophia Jex-Blake a mené un groupe de femmes, depuis lors connue comme les Sept d’Edimbourg, à devenir les premières femmes diplômées d’une université britannique. Étant militante, elle argumente qu’il n’y a pas de preuves concrètes de l’infériorité intellectuelle de la femme. Cette théorie, dit-elle, pourrait aisément être testée en donnant aux femmes les mêmes opportunités que les hommes, « un terrain équitable et pas de privilège », et on verra bien.

Une des Sept d’Edimbourg, Edith Pechey, termina première de sa classe de chimie et aurait dû, de ce fait, recevoir une bourse. Mais cet honneur fut donné à l’étudiant qui finit second, un homme. Le simple fait que ces femmes aillent à l’université causa des émeutes. Pour se rendre à leur examen final, elles durent braver une foule de protestataires qui leur lancèrent de la boue et des déchets à la tête. Malgré ces conditions plus que défavorables, toutes ces femmes passèrent leur examen avec succès. Aucune ne reçut son diplôme. Elles ont eu le droit d’étudier, mais pas de devenir médecin…Cela peut sembler être un problème du passé, mais en 2018, un scandale à la Tokyo Medical University révéla que les candidates féminines passant leur examen d’entrée voyaient leur score systématiquement réduit de 20%, alors que les candidats hommes recevaient 20 points supplémentaires. Ce stratagème fut mis en place en 2006 pour s’assurer que moins de femmes puissent entrer à l’université et donc devenir médecin. Même dans nos pays occidentaux, les femmes restent sous-représentées dans la plupart des filiales scientifiques ou médicales. En France, la recherche publique ne compte que 30% de femmes. En 20 ans, cette proportion n’a augmenté que de 2 à 3%.

Une égalité à géométrie variable

Ce manque de représentation féminine dans le milieu académique et maritime crée un manque de modèle à suivre pour les jeunes filles. Souvent, il nous faut voir qu’une chose est possible avant même d’oser en rêver.

« Personnellement, mon parcours universitaire en Suisse et en Australie a été équitable, et je n’ai jamais eu le sentiment que mon intellect était remis en cause parce que j’étais une femme.

Ma recherche, par contre, m’a poussée à travailler dans des pays tel que l’Egypte et l’Arabie Saoudite. La mer rouge est un écosystème très particulier et relativement peu étudié, mais travailler en Arabie Saoudite peut être pour le moins compliqué. Je devais porter un Hijab à chaque fois que je quittais le campus et je n’avais pas le droit de conduire. Une femme, dans ce pays, ne peut s’adresser à un homme qui n’est pas de sa famille, donc aucun étranger ne m’a jamais parlé ou même regardé dans les yeux. Cela envoie un message très clair : la femme ne devrait pas être dans l’espace publique, et si elle y est tolérée, elle ne peut en aucun cas s’exprimer librement. Cette façon de penser s’insinue dans les autres aspects de la vie, où les femmes sont moins susceptibles de poser des questions, de prendre la parole ou de mener des projets. Cela inclut l’université ; sur les 172 professeurs du campus, 18 seulement étaient des femmes.

Travailler sur les navires est compliqué pour d’autres raisons. Cette fois, j’ai clairement ressenti que mes capacités et mon intellect était remis en cause, surtout lorsque j’assumais le rôle de chef d’expédition. Même avec le titre de chef de département, le respect ne vient pas naturellement quand vous êtes une femme de 30 ans. J’ai eu des commandants qui, tirant sur ma queue de cheval, déclarait devant les passagers, que je leur faisais penser à leur petite fille. Des passagers me traitent régulièrement de « maîtresse d’école », parce que recevoir des instructions et des règles de sécurité de la part d’une jeune femme leur donne l’impression d’être des enfants. Et vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui m’ont dit qu’il était temps de changer de carrière, de me marier et d’avoir des enfants « avant qu’il ne soit trop tard ». C’est comme ça, quand vous êtes une femme, les gens se permettent de vous juger. De juger votre façon de vous exprimer, de vous présenter, de juger les choix que vous faîtes, et même de vous dire quoi faire de vos ovaires.

Même 100 ans après la première femme capitaine, le monde maritime reste encore majoritairement un monde masculin. J’ai travaillé 5 ans sur des navires, et je n’ai jamais rencontré de femme commandant ou second capitaine. La grande majorité des femmes étaient dans le divertissement, l’entretien ou à la réception. Trois quarts de l’équipage sont des hommes, et les femmes sont rarement cheffes de département. Et je pense que c’est un véritable inconvénient pour nous tous, pour les hommes autant que pour les femmes. Un proverbe chinois dit « les femmes portent la moitié du ciel ». En empêchant les femmes de vivre leur vie pleinement, dans la carrière de leur choix, l’humanité ne tourne qu’à la moitié de son potentiel, et tout le monde en pâtit. »

Manifesto

On a besoin de femmes sur les mers. On a besoin de femmes scientifiques. On a besoin de femme pour préserver nos océans. Il nous faut montrer aux jeunes filles qu’une carrière sur l’eau est possible. Qu’elles aussi peuvent devenir commandante, cheffe d’expédition, surfeuse, plongeuse, biologiste marin ou ingénieure navale. Il nous faut arrêter de dire aux petites filles combien elles sont jolies et commencer à les féliciter pour leur courage, leur force et leur intelligence. Il nous faut montrer à ces filles que l’océan leur appartient autant qu’aux garçons.

Comme Sophia Jex-Blake l’a dit, donnez aux femmes «un terrain équitable et pas de privilège » , et vous verrez jusqu’où il leur est possible d’aller.