USA : cap vers l'indépendance énergétique
Energy Observer vit ses dernières escales internationales avant de rejoindre son port d'attache Saint-Malo : après Miami et Washington, le navire laboratoire met le cap sur New York, puis Boston. L'occasion d'observer la profonde transformation du paysage énergétique américain. Pendant des décennies, le bouquet énergétique des Etats-Unis a été dominé par les combustibles fossiles, mais aujourd’hui l'élan se déplace résolument vers les sources renouvelables et les technologies d'efficacité énergétique. Cette transition présente à la fois des défis importants et des opportunités sans précédent, alors que les États-Unis s'efforcent de parvenir à un avenir énergétique plus durable, plus fiable et plus équitable. Explications avec notre scientifique à bord et experte en énergie, Beatrice Cordiano.
Lorsque nous pensons aux États-Unis, les premiers éléments qui nous viennent à l'esprit sont une économie capitaliste et une culture de la consommation. Les Américains consomment des biens : de la nourriture, des voitures et... de l'énergie. Beaucoup d'énergie. En effet, les Américains représentent 4 % de la population mondiale et consomment 15 % de l'énergie primaire mondiale. Pour mettre les choses en perspective, un Américain consomme autant d'énergie que 2 Français, 4 Mexicains et 90 Éthiopiens. Globalement, le pays nord-américain est le deuxième plus grand consommateur d'énergie au monde.
Production d'électricité, industrie, transports et de nombreux autres secteurs font que les États-Unis sont responsables de rejeter dans l'atmosphère des milliards de tonnes de gaz à effet de serre chaque année. Dépassés par la Chine au milieu des années 2000, les États-Unis sont le deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre - avec environ 6 milliards de tonnes d'équivalent CO2 émises en 2022 - et ont produit plus d'émissions cumulées de dioxyde de carbone que n'importe quel autre pays à ce jour. De ce fait, ils sont considérés comme le plus grand contributeur au changement climatique d'origine anthropique.
Le tableau n'est pas très brillant, ce qui nous amène à nous poser les questions suivantes : comment les États-Unis répondent-ils à leurs énormes besoins énergétiques ? Comment leur approche a-t-elle évolué au fil du temps et quelles sont les implications pour les objectifs de réduction des émissions du pays ? Comme vous pouvez le deviner, la réponse est assez complexe.
Avant les années 1950, les États-Unis produisaient la majeure partie de l'énergie qu'ils consommaient. Cependant, de 1957 à 2018, la consommation a constamment dépassé la production et le recours aux importations, principalement de pétrole brut et de carburants raffinés, a été essentiel pour combler l'écart. Cette dépendance à l'égard des importations a atteint son apogée en 2007 et n'a cessé de diminuer depuis, grâce à l'augmentation de la production nationale de pétrole et de gaz naturel, qui a permis de réduire les besoins d'importation et même de faciliter les exportations.
En 2019, pour la première fois depuis près de 70 ans, les États-Unis sont devenus un exportateur net d'énergie. Cela signifie qu'ils ont vendu plus de pétrole et de gaz à l'international qu'ils n'en ont importé. La raison réside principalement dans la "révolution du schiste" : grâce à des techniques de forage innovantes telles que la fracturation hydraulique (fracking) et le forage horizontal, des gisements de pétrole et de gaz auparavant inaccessibles sont devenus accessibles. De plus, avec le développement des terminaux d'exportation de GNL, le gaz naturel a commencé à être exporté, tout comme le pétrole.
L'indépendance énergétique américaine
Commençons par dissiper un mythe. Être un exportateur net d'énergie ne signifie ni qu'il n'y a pas d'importation ni que l’on est indépendant sur le plan énergétique, contrairement à ce que pensent de nombreux Américains.
Premièrement, parce que les combustibles fossiles sont soumis aux fluctuations du marché mondial, et les États-Unis, même dans cette situation favorable, ne peuvent pas fixer les prix de l'énergie. La forte volatilité des prix des combustibles fossiles touche également les Américains, et en particulier ceux qui n'ont pas d'autre alternative que l'essence pour alimenter leur voiture ou le gaz pour chauffer leur maison.
Deuxièmement, parce que le pétrole brut doit être raffiné pour être utilisé. Or, si les raffineries américaines sont principalement conçues pour traiter des pétroles bruts lourds, le pétrole produit localement est généralement "léger", ce qui explique pourquoi le pays a besoin d'importer un autre type de pétrole pour fabriquer des produits finis.
Donc non, les États-Unis ne sont pas indépendants sur le plan énergétique - dans le sens où ils produisent plus qu’il n’en faut pour répondre à leurs besoins - et ils ne l’ont jamais été depuis 1953. L'électrification du pays pourrait bien être l’une des solutions à l’avenir. Et qui dit électrification dit énergies renouvelables.
Le changement s'installe, même au pays du pétrole
Revenons d'abord un peu en arrière pour comprendre le mix énergétique américain. Au cours des 65 dernières années, les sources de consommation d'énergie aux États-Unis ont reflété les tendances de la production. Si le pétrole reste la première source d'énergie, sa domination faiblit (de 43 % en 1957 à 36 % en 2022). De même, la part du charbon a considérablement reculé (de 26 % à 10 %). En revanche, le gaz naturel a gagné en importance (de 24 % à 33 %). Les énergies renouvelables et nucléaire occupent également une place plus importante qu'en 1957, mais ne couvrent aujourd'hui que 21 % (13 % et 8 % respectivement) des besoins en énergie primaire.
Pour autant, nous ne pouvons pas nier qu'un changement silencieux mais profond est en train de s’opérer aux États-Unis, reflétant une transition déjà bien engagée en Europe et dans d'autres régions. Les constructeurs automobiles se tournent vers l'électrique et cette tendance va au-delà du transport, englobant également des domaines tels que le chauffage, la climatisation et la cuisine. Les énergies renouvelables sont en plein essor aux États-Unis et le pays rattrape son retard à une vitesse surprenante.
“Nous examinons quotidiennement les données énergétiques et ce qui se passe est étonnant. [...] L'énergie propre progresse plus vite qu'on ne le pense, et elle a pris un coup de fouet ces derniers temps.”
En effet, le coût de la production d'électricité à partir de l'énergie solaire et éolienne diminue rapidement et est désormais souvent moins élevé que celui des combustibles fossiles. Autrefois considérés comme coûteux et peu pratiques, les panneaux solaires, les éoliennes et les batteries lithium-ion sont passés de technologies de niche à des solutions courantes en seulement 15 ans.
Revenons maintenant à notre question initiale : comment l'électrification peut-elle résoudre une partie de l'équation de l'indépendance énergétique américaine ?
Utiliser l'électricité est en effet plus stable et moins chère que d’utiliser des combustibles fossiles, il n’y a pas de question. Les prix des combustibles fossiles dépendent fortement des risques géopolitiques et climatiques - cela s'est produit lors de la pandémie, nous l'avons vu pour le prix du gaz naturel à la suite de la guerre en Ukraine, nous le vivons avec les prix du pétrole maintenant que les tensions s'intensifient en mer Rouge. Les prix peuvent augmenter rapidement, et c’est ce qu’il s’est passé à plusieurs reprises au cours des cinq dernières années. Au contraire, les prix de l'électricité restent relativement bas et moins volatils. Pourquoi ?
Tout d'abord, parce que contrairement aux combustibles fossiles, qui font l'objet d'un commerce mondial et sont donc sensibles aux fluctuations des prix internationaux, les marchés de l'électricité sont généralement locaux. Deuxièmement, parce que les énergies renouvelables, comme le solaire et l'éolien, sont devenues moins chères, qu'elles sont disponibles gratuitement et que le coût de leur électricité est principalement déterminé par le coût de construction initial.
Ainsi, même si le réseau électrique s’appuie encore en partie sur les combustibles fossiles, l'électricité a le pouvoir de réduire la dépendance à l'égard d'un marché volatile et offre une protection contre les chocs des prix.
Le pouvoir de la législation
Les États-Unis ont longtemps été un aimant pour les investissements dans les énergies renouvelables en raison de leur potentiel de marché existant et cet attrait a été considérablement renforcé en août 2022 avec l'adoption de la Loi sur la réduction de l’inflation (IRA) par l'administration Biden, une législation censée accélérer le rythme de la transition énergétique du pays en se concentrant sur deux solutions complémentaires : une électrification renouvelable et la mise en place d'une chaîne de valeur robuste pour l'hydrogène propre.
Cependant, une victoire républicaine à l'élection présidentielle de 2024 risquerait d’inverser les efforts de réduction des émissions. Un scénario inquiétant qui relancerait la production de combustibles fossiles, annulerait les réglementations visant à réduire les gaz à effet de serre et démantèlerait la quasi-totalité des programmes fédéraux en matière d'énergie propre.
Transformer le système électrique américain est une tâche monumentale. Il faut ajouter d’importantes capacités d'énergie renouvelable à un réseau vieillissant et inefficace : un énorme défi sans ajouter de stockage d'énergie et sans retirer, remanier et remplacer l'infrastructure actuelle. De plus, malgré le succès de ces sources d'énergie propres, les entreprises continuent d'investir dans de nouvelles mines de charbon, des gazoducs et des plateformes pétrolières, et le gouvernement ne semble pas vouloir cesser d'accorder des permis pour des projets de forage et de subventionner ces industries. Et tandis que les systèmes énergétiques évoluent rapidement, le climat aussi.
Personne ne sait ce qui va se passer avant le 5 novembre. Mais ce qui est certain, c'est qu'à l'heure actuelle, l'objectif d'atteindre des émissions nettes nulles d'ici 2050 - comme le demandent les scientifiques pour éviter une catastrophe climatique - reste un objectif incertain pour les États-Unis. De plus, si l'Amérique veut atteindre l'indépendance énergétique, elle ne peut le faire en restant la puissance pétrolière qu'elle est depuis le milieu des années 50.